samedi 25 février 2012

Kétamine : le nouveau RIVOTRIL® à la sauce T2A ?

La complexité de la prise en charge des patients présentant un syndrome douloureux chronique pousse les soignants à toujours plus d’innovation. Dans le meilleur des cas, l’émergence de nouveaux traitements (médicamenteux ou non) s’accompagne d’une recherche clinique de qualité, ce qui permet une généralisation progressive. Dans d’autres cas, les années passent, les habitudes de prescription de développent, sans réelle preuve d’efficacité et/ou de sécurité.

Ce fut le cas du RIVOTRIL®, traitement extrêmement bon marché puisqu’un flacon de 500 gouttes ne coute que 2 euros. Le coût de traitement journalier pour un patient qui consomme 10 gouttes de RIVOTRIL® par jour n’est donc que de 4 centimes d’euros : pas de quoi creuser le trou de la sécurité sociale ! Malheureusement, il aura fallu des décennies pour s’apercevoir d’un rapport bénéfice-risque très défavorable…

N’est-il pas en train de se passer la même chose avec la kétamine ? Cette molécule, utilisée en anesthésie, fait l’objet d’un intérêt croissant du fait d’une action spécifique sur un des nombreux récepteurs (dit NMDA) impliqués dans le contrôle du message douloureux. A ce jour, les revues de la littérature [1,2] s’intéressant à l’usage de la kétamine dans un contexte de douleur chronique posent toutes les mêmes constats :
- efficacité au mieux modérée et de courte durée ;
- nombreux effets secondaires neuropsychologiques ;
- risque addictif ;
- absence de consensus sur la voie d’administration à utiliser (intraveineuse, sous-cutanée, nasale, orale ?) ;
- absence de consensus sur les doses à utiliser ;
- absence de données d’efficacité et de sécurité à long terme.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’utilisation de la kétamine ne peut actuellement s’envisager [1,2] que dans le cadre d’un protocole de recherche, en attendant d’avoir des données plus solides. Une étude nationale française est en cours de construction pour ce qui est de la prise en charge des douleurs neuropathiques.

Pour autant, le recours à la kétamine en dehors de tout protocole de recherche semble être en plein essor, notamment pour la fibromyalgie, syndrome douloureux à la physiopathologie encore mal élucidée. Qui plus est, ce type de pratique tend à se développer sans évaluation rigoureuse du contexte psychosocial du patient !

Ne s’agirait-il pas d’un effet pervers de la tarification à l’activité, cette fameuse « T2A », qui fait que les établissements de santé se rémunèrent au nombre de séjours qu’ils réalisent ? La kétamine étant, en France, un produit à usage hospitalier, son utilisation nécessite une hospitalisation. La journée d’hospitalisation de jour étant facturée à hauteur de 424,33€ (GHS R52.1 douleur chronique irréductible, tarif 2011), l’opération peut rapidement rapporter gros (à l’établissement) et donc coûter cher (à la collectivité). Plus de kétamine, plus de séjours pour le service, plus de recettes pour l’établissement : mais quel bénéfice pour le patient ?