samedi 29 décembre 2012

« Poivre et sel » : quand la douleur annonce l’hémorragie cérébrale…

Guidé par la curiosité du titre, j’ai récemment parcouru un article scientifique publié dans la revue Clinical Neurology and Neurosurgery : les auteurs taïwanais y exposent les situations de 4 patients ayant présenté un signe clinique nommé « salt-and-pepper eye pain », ce qui pourrait être traduit par « douleur oculaire de type sel-et-poivre ». Concrètement, les patients de cette petite série ont tous présenté une douleur brutale, comme si du sel / du poivre avaient été jetés au niveau d’un ou des deux yeux, sans anomalie décelable sur le plan ophtalmologique. Une fois la douleur spontanément disparue, ces patients ont présenté des signes neurologiques qui ont abouti au diagnostic d’accident vasculaire cérébral (AVC), le plus souvent hémorragique.




Ces 4 patients viennent s’ajouter à 8 autres cas publiés dans la littérature scientifique. Douze cas recensés dans le monde : cela fait peu comparé à la fréquence de l’AVC ! Cependant, les auteurs de cet article émettent l’hypothèse d’un symptôme qui pourrait être plus fréquemment décrit s’il était réellement recherché…

Alors, au final, signe d’alerte à prendre au sérieux ou simple feu de paille ? La « douleur oculaire sel-et-poivre » pourrait-elle constituer une sorte d’aura de l’AVC ? La question reste posée, mais dans le doute, les auteurs recommandent la réalisation urgente d’une imagerie cérébrale, pour éliminer une hémorragie intracrânienne.




samedi 22 décembre 2012

Venin d’abeille : le nouveau traitement bio de la lombalgie chronique ?

La lombalgie chronique fait partie des syndromes douloureux chroniques les plus complexes à prendre en charge. Une approche « intégrative » personnalisée est souvent nécessaire : elle s’appuie sur un ensemble d’approches médicamenteuses, rééducatives, ergonomiques, cognitives et comportementales. Parmi ces approches, les infiltrations constituent une ressource possible : il s’agit le plus souvent de corticoïdes, utilisés pour leurs vertus anti-inflammatoires. Dans un contexte sociétal de retour aux produits naturels, serait-il possible d’injecter un anti-inflammatoire bio ? A priori oui, il suffirait pour cela de s’adresser aux abeilles. Si les vertus du miel, du propolis, de la cire ou de la gelée royale sont assez bien connues, celles du venin d’abeille semblent moins évidentes à entrevoir, et pourtant…




Les auteurs coréens d’un article récent (paru dans le journal européen de médecine intégrative) rapportent leur expérience en termes de traitement de la lombalgie chronique par injections de venin d’abeille au niveau de 6 points d’acupuncture (2 injections par semaine pendant 4 semaines). Comparé au placebo (sérum salé), le venin d’abeille a permis de diminuer significativement l’intensité douloureuse pendant la dernière des 4 semaines de traitement, avec des effets secondaires restant modérés (surtout un prurit).




Malheureusement, cet effet antalgique ne s’est pas prolongé dans le temps et n’a pas permis d’augmenter les capacités fonctionnelles du patient… Rien de miraculeux donc, mais les auteurs émettent l’idée d’intégrer le venin d’abeille à la prise en charge globale de la lombalgie chronique. Utopie ou perspective d’avenir ?




samedi 15 décembre 2012

Fibromyalgie : une histoire d’hormone… de croissance ?

Quand les rhumatologues rencontrent des endocrinologues, de quoi se parlent-ils ? De fibromyalgie bien sûr, cette affection touchant majoritairement la femme et pour laquelle les uns et les autres sont parfois démunis… Premier constat commun : environ la moitié des patients présentant un syndrome fibromyalgique présente également une perturbation hormonale en lien avec l’hormone de croissance (GH, pour growth hormone). Il s’agit soit d’un déficit en IGF-1, hormone produite par le foie sous l’influence de la GH, soit d’une vraie déficience en GH.




D’où l’idée de recourir à l’hormone de croissance pour traiter la fibromyalgie. L’histoire s’écrit en Espagne [1], où 120 patients traités médicalement pour une fibromyalgie ont pu participer à une étude clinique pendant 18 mois. Tous présentaient un déficit en IGF-1. Le premier groupe de 60 patients a été traité pendant 12 mois avec une GH ; le second groupe a bénéficié d’un placebo pendant 6 mois, puis de la GH pendant 6 mois. Les 2 groupes ont ensuite été surveillés pendant 6 mois. Voici les principaux résultats :
  • Aucune différence entre les 2 groupes pendant les 6 premiers mois (les auteurs pensent avoir utilisé des doses de GH trop faibles pour obtenir un résultat rapide…).
  • A 12 mois de suivi, les patients ayant été traité pendant 12 mois bénéficiaient d’une amélioration significativement supérieure à ceux traités pendant 6 mois : diminution du nombre de points de fibromyalgie (moins de 11 points dans 53% vs 33% des cas), des répercussions fonctionnelles et de l’intensité douloureuse (échelle numérique moyenne de 45/100 vs 60/100, pour une moyenne avant traitement de 75/100 dans les 2 groupes).
  • A 18 mois de suivi, donc 6 mois après arrêt du traitement par GH, les 2 groupes redevenaient comparables (les auteurs en concluent que le mécanisme de l’action antalgique de la GH est différent de celui des traitements médicamenteux habituels, opioïdes ou antidépresseurs).




A ce jour, les anomalies hormonales liées à la GH constatée chez les patients atteints de fibromyalgie restent difficiles à interpréter. Sont-elles la conséquence d’un stress prolongé ? Sont-elles à l’origine de la douleur ? Sont-elles liées aux troubles du sommeil (la production de GH étant maximale en phase de sommeil paradoxal) ? Participent-elles à un cercle vicieux entre la douleur, le stress et les troubles du sommeil ? Il reste difficile de répondre à ces questions avec certitude. Les résultats de cette étude ouvrent la voie au développement [2] d’un potentiel « traitement hormonal substitutif » de la fibromyalgie…




Références

samedi 8 décembre 2012

Des pistes pour diminuer la fréquence des douleurs chroniques après un geste chirurgical

De plus en plus d’études scientifiques viennent le confirmer : une des complications possibles de tout geste chirurgical est le développement de douleurs chroniques, notamment neuropathiques. Il s’agit d’une situation qualifiable d’aléa thérapeutique (dommage corporel, conséquence d'un acte médical, sans qu'il soit accompagné d'une faute, d'une erreur ou encore d'une maladresse).




Les douleurs neuropathiques post-chirurgicales étant particulièrement difficiles à prendre en charge, serait-il possible d’empêcher leur apparition ? Puisqu’il n’est pas possible de les guérir, pouvons-nous les prévenir, ou tout au moins en diminuer la fréquence ?




Pour tenter de répondre à cette question importante, la revue « Surgical Clinics of North America » publie un article consacré aux douleurs chroniques après une amputation ou une thoracotomie. Sans apporter de réponse définitive, plusieurs pistes se dégagent :
  1. Le soulagement de la douleur doit être maximal avant, pendant et après le geste chirurgical. Même si des données contradictoires sont publiées, la fréquence des douleurs chroniques postopératoires diminue de façon significative en cas de bon contrôle péri-opératoire de la douleur.
  2. Le type de traitement antalgique importe peu, seul le soulagement compte. Médicaments par voie orale ou intraveineuse, analgésie péridurale ou locorégionale : aucune technique n’est réellement meilleure, pour peu qu’elle soit bien utilisée. Par contre, c’est une évidence, la combinaison de ces techniques (appelée analgésie multimodale) contribue à un soulagement de meilleure qualité, donc à une diminution du risque de développer des douleurs chroniques.
  3. Le traitement antalgique postopératoire devrait durer plus longtemps. Par exemple, augmenter la durée de l’analgésie locorégionale pourrait influencer (dans le bon sens) la réorganisation du système nerveux (plasticité neuronale) après amputation.
  4. L’anxiété et/ou la dépression sont des facteurs de risque à évaluer avant même la chirurgie. Ils augmentent clairement le risque de douleur chronique : une prise en charge réellement multimodale ne peut donc s’envisager sans intégrer des aspects psychosociaux.
  5. Le système nerveux mérite le respect. Moins d’agression des nerfs = probablement mois de douleurs neuropathiques. Cette hypothèse tend à se confirmer avec le développement de chirurgies moins invasives (microchirurgie, arthroscopie, cœlioscopie…).

En pratique, compte-tenu des données scientifiques disponibles et d’une obligation de moyens, les auteurs de cet article ne peuvent qu’encourager à « mettre le paquet » pour soulager la douleur péri-opératoire, en élargissant le champ de vision des soignants, notamment sur le plan psychosocial. La gestion du risque (de développer une douleur chronique après un geste chirurgical) est à ce prix…

samedi 1 décembre 2012

Douleur chronique, insomnie et dépression : une triade sous l’influence de la dopamine ?

Douleur chronique, insomnie, dépression : ces 3 affections sont présentes en même temps chez de nombreux patients, notamment en cas de syndrome fibromyalgique. Simple coïncidence ? Probablement pas, puisque chacune de ces 3 affections peut contribuer au développement ou à l’entretien des 2 autres. Par exemple, une douleur neuropathique permanente peut engendrer un trouble du sommeil et épuiser l’individu, la dépression s’accompagne souvent d’insomnie et peut favoriser le développement de douleurs musculo-squelettiques…



Les auteurs américains d’un article (Theoretical review) paru dans la revue de médecine du sommeil (éditions ELSEVIER) émettent l’hypothèse suivante : la dopamine pourrait bien être le point commun entre la douleur chronique, l’insomnie et la dépression. Pourquoi une telle idée ? Avant tout parce que ces 3 affections sont sous l’influence du système nerveux central : il est donc logique de se tourner vers un médiateur chimique cérébral. Mais pourquoi la dopamine ? Plusieurs éléments permettent de la placer au rang des suspects :
  • L’altération des voies dopaminergiques est déjà incriminée dans certaines pathologies en lien avec le « sommeil », comme la narcolepsie ou le syndrome des jambes sans repos (voir article de mon blog), des facteurs génétiques ayant déjà été identifiés. Rien n’est encore vraiment prouvé pour l’insomnie, mais les études sur le sujet sont peu nombreuses.
  • Au cours de certains syndromes douloureux chroniques, comme la fibromyalgie, certains patients présentent une quantité anormale de métabolites de la dopamine dans le liquide céphalo-rachidien.
  • Il est bien démontré que le stress altère le fonctionnement des voies dopaminergiques. Or, le stress chronique peut conduire à la dépression : par le biais d’une mauvaise régulation de la dopamine ? Manifestement la recherche clinique sur la dépression ne s’intéresse plus uniquement à la sérotonine et à la noradrénaline…



A ce jour, même si l’étau semble se resserrer autour de la dopamine, la présomption d’innocence reste d’actualité. En attendant d’en savoir plus, les auteurs de cet article se fournissent quelques conseils aux cliniciens :
  • Les patients traités pour un trouble du sommeil, une douleur chronique ou une dépression doivent être évalués globalement, à la recherche des 2 autres éléments de la triade. La prise en charge spécifique de chaque affection peut avoir un effet bénéfique sur les 2 autres.
  • Les patients qui présentent des douleurs chroniques influencées par le système nerveux central, comme dans la fibromyalgie (voir article de mon blog), ont plus de risques de présenter un trouble du sommeil ou une dépression. Une approche préventive (par exemple en termes d’hygiène de vie, de rythme de sommeil…) apparait donc judicieuse.
  • La prise en charge des sources de stress est essentielle, puisqu’elle contribue au développement et/ou au maintien de l’insomnie, de la douleur et de la dépression.
  • La recherche d’un abus en substances stimulantes doit être systématique : un tel abus peut altérer les circuits cérébraux dopaminergiques et donc favoriser l’installation de la triade infernale.

samedi 24 novembre 2012

Traitement médicamenteux de la douleur chronique : à boire et à manger…

La prise en charge de la douleur chronique est si complexe qu'elle conduit parfois à utiliser des médicaments à l'efficacité incertaine et/ou non dépourvus de risques. Il s'agit le plus souvent de molécules assez anciennes, qui tentent leur come-back en profitant des insuffisances des nouvelles venues… C'est par exemple le cas du clonazépam (voir article de mon blog) ou de la kétamine (voir article de mon blog) : le premier semble maintenant en voie d'extinction, alors que la deuxième fait l'objet d'un regain d'intérêt, malgré de nombreuses études peu concluantes et un rapport bénéfice –risque manifestement peu favorable (à suivre)…




Parmi les pratiques un peu surprenantes, il faut citer l'ACUPAN® (chlorhydrate de néfopam). Médicament ayant obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1980, il n'est disponible en France que sous forme d'ampoules injectables, dans l'indication "traitement symptomatique des affections douloureuses aiguës, notamment des douleurs post-opératoires". Pourtant, certains patients présentant un syndrome douloureux chronique se voient prescrire ce médicament avec la consigne de l'avaler… sur la base de l'expression bien connue en médecine : "tout ce qui s'injecte peut se boire", mais sans preuve d'efficacité et d'innocuité.

La commission de la transparence de la Haute Autorité de Santé publie en date du 3 octobre 2012 un nouvel avis concernant l'ACUPAN®. Fait important, elle y rappelle que "le service médical rendu par cette spécialité reste important dans l’indication de l’AMM". Elle précise également 3 notions importantes :
  • Concernant le fait de boire des ampoules injectables : "Une utilisation par voie orale a été décrite, elle n’est pas conforme à l’AMM". "Compte tenu de l’usage détourné par voie orale, la commission souhaite que le laboratoire commercialise la forme comprimé qui dispose d’une AMM en France depuis 1980".
  • Concernant la douleur chronique : "Cette spécialité est un médicament de première ou de deuxième intention selon l’intensité de la douleur. L’attention est portée sur le risque de pharmacodépendance qui existe avec cette spécialité ; elle ne doit pas être utilisée pour les douleurs chroniques".
  • Concernant le choix de la molécule : "Il existe des alternatives thérapeutiques".

A ce jour, une chose est claire : il n'est pas recommandé de faire boire des ampoules d'ACUPAN® au patient douloureux chronique…

samedi 17 novembre 2012

Fibromyalgie : le Canada publie des recommandations en langue française

La société canadienne de rhumatologie publie sur son site internet des « lignes directrices » pour le diagnostic et la prise en charge du syndrome fibromyalgique. Rédigé par un groupe de travail pluri-professionnel (soignants canadiens, représentant des patients et expert international), le document mis en ligne s’adresse aussi bien aux professionnels de santé qu’aux patients. Il comporte en tout 53 pages : sa lecture prend donc un certain temps, mais une version « courte » des 46 recommandations (voir en fin de ce post) est proposée en annexe…




Premier constat : les niveaux de preuve qui accompagnent chaque recommandation sont en grande majorité très faibles, ce qui témoigne des connaissances encore très insuffisantes sur la question. 70% des recommandations sont de grade D, ce qui signifie qu’elles découlent de l’opinion des experts (dont les conflits d’intérêts sont déclarés en début de document, voir article de mon blog) ou d’études de très faible qualité. Seules 17% des recommandations sont de grade A.

Deuxième constat : les 8 recommandations de grade A concernent toutes la prise en charge du syndrome fibromyalgique, mais aucune le diagnostic ou le suivi des patients. De sorte que la médecine sait proposer des prises en charge efficaces à un syndrome qu’elle a encore beaucoup de mal à diagnostiquer, puis à suivre de façon adaptée… Ces 8 recommandations de grade A (voir plus bas, en gras) concernent :
  • Recommandations n°8 : la nécessité d’une prise en charge par les professionnels de santé de premier recours (le syndrome fibromyalgique n’est pas qu’une affaire de spécialiste) ;
  • Recommandations n°8 et 13 : la globalité de la prise en charge (multi facettes en canadien), en s’appuyant si besoin sur une équipe multidisciplinaire (voir article de mon blog) ;
  • Recommandations n°18, 20 et 21 : l’efficacité des thérapies cognitives et comportementales (TCC), visant à améliorer l’auto-efficacité du patient (voir article de mon blog) et à maintenir une activité physique adaptée et régulière ;
  • Recommandation n°22 : l’absence, à ce jour, de preuve d’efficacité des « médecines douces et parallèles » (par exemple : homéopathie, phytothérapie, acupuncture, chiropraxie) ;
  • Recommandation n°33 et 34 : l’intérêt de certains antidépresseurs et antiépileptiques, dont la tolérance doit être surveillée (la recommandation 35 rappelle que seules la prégabaline et la duloxétine sont approuvées au Canada, toute autre prescription étant « non conforme »).

Ces lignes directrices rappellent également un certains nombre de vérités qui méritent d’être rappelées : bienveillance, écoute et non jugement de la part des soignants sont nécessaires ; l’autonomisation du patient doit être promue ; chaque situation est différente et requiert un suivi individualisé… Voici le paragraphe qui résume à mon sens le mieux le contenu de ces recommandations : "Comme la fibromyalgie ne peut pas être guérie, la prise en charge optimale doit être concentrée sur la douleur ainsi que sur la symptomatologie d’ensemble que constitue ce syndrome. Tout en étant propre au patient, le traitement doit comprendre une approche non pharmacologique et peut également inclure la prise de médicaments. Les professionnels de la santé devraient être en mesure de comprendre l’interaction entre les mécanismes neurophysiologiques et psychologiques en cause dans la FM, et être conscients qu’elle comporte un éventail de symptômes".

Référence
Fitzcharles MA, Ste-Marie PA, Goldenberg DL, Pereira JX, Abbey S, Choinière M, Ko G, Moulin D, Panopalis P, Proulx J, Shir Y. Lignes directrices canadiennes 2012 pour le diagnostic et la prise en charge du syndrome de fibromyalgie.


Synthèse des recommandations (en gras : preuve de grade A)

Section 1 : diagnostic

1. La fibromyalgie, syndrome caractérisé par un cycle d’exacerbation et de latence des symptômes, devrait être diagnostiquée suite à la présence depuis au moins trois mois, de douleurs corporelles diffuses chez un individu qui peut aussi manifester des symptômes de fatigue, des troubles du sommeil, des changements de nature neurocognitive, des troubles de l’humeur ainsi que d’autres manifestations somatiques d’intensité variable, et lorsque les symptômes ne peuvent pas être expliqués par une autre maladie [Niveau 5, Grade D].

2. Tous les patients dont les symptômes sont compatibles avec un diagnostic de fibromyalgie, devraient être soumis à un examen physique répondant aux normes, à l’exception de la sensibilité à la pression des tissus mous (c.-à-d. hyperalgie, douleur accrue suite à un stimulus douloureux) [Niveau 4, Grade D].

3. L’examen des tissus mous visant à évaluer la sensibilité générale devrait être exécuté par palpation manuelle, tout en considérant que l’examen de points sensibles douloureux précis, tel qu’énoncé dans les critères de 1990 de l’ACR, n’est plus nécessaire à la confirmation d’un diagnostic clinique de fibromyalgie [Niveau 5, Grade D].

4. Le diagnostic de la fibromyalgie devrait reposer sur une évaluation clinique globale, sans épreuves de laboratoire de confirmation, ainsi que le recours à des analyses de laboratoire simples comme l’hémogramme, la vitesse de sédimentation (VS) de même que le dosage de la protéine C-réactive (C.R.P.), de la créatine kinase et de la thyréostimuline (TSH). Tout autre examen de laboratoire ou radiographique devrait résulter de l’évaluation clinique d’un patient donné si l’on soupçonne la présence d’une autre anomalie [Niveau 5, Grade D].

5. Le médecin de premier recours devrait poser le diagnostic de FM aussi tôt que possible, sans solliciter la confirmation d’un médecin spécialiste, et communiquer le diagnostic au patient. Suite au diagnostic, il faut s’abstenir de faire des examens à répétition sauf, en cas d’apparition de nouveaux symptômes ou signes lors de l’examen physique [Niveau 5, Grade D].

6. Les critères 2010 de l’ACR pour le diagnostic de la fibromyalgie peuvent servir à l’évaluation initiale, en vue de confirmer un diagnostic clinique de fibromyalgie tout en sachant que les symptômes fluctuent au fil du temps [Niveau 3, Grade B].

7. Les professionnels de la santé devraient savoir qu’une douleur corporelle s’apparentant à celle de la fibromyalgie peut aussi faire partie des manifestations de certaines autres affections médicales ou psychologiques. En outre, les patients chez qui on a diagnostiqué d’autres maladies peuvent également présenter une fibromyalgie concomitante [Niveau 5, Grade D].

8. On devrait concentrer la prise en charge des personnes souffrant de FM dans un contexte de soins de premier recours, constitués de professionnels de la santé bien informés et, idéalement, lorsque possible, accompagnés de l’accès à une équipe multidisciplinaire [Niveau 1, Grade A] ou à des membres d’équipe en mesure de leur fournir du soutien et de les rassurer [Niveau 3, Grade C].

9. Les consultations auprès de spécialistes, y compris les spécialistes du sommeil et les psychologues, peuvent être indiquées pour certains patients ciblés, mais des soins suivis prodigués par un spécialiste, ne sont pas recommandés et devraient être limités aux patients, pour qui la prise en charge en contexte de soins de premier recours a échoué ou, qui présentent des comorbidités plus complexes [Niveau 5, Grade D].

10. Dans le cadre des soins de santé aux personnes aux prises avec la fibromyalgie, les professionnels de la santé devraient connaître la pathogenèse de la fibromyalgie [Niveau 5, Consensus], faire preuve d’empathie, d’ouverture et d’honnêteté, ne pas afficher d’attitudes négatives et intégrer le patient au processus décisionnel [Niveau 3, Grade D].

11. Les professionnels de la santé devraient savoir, que dans le cadre d’études de recherche, des anomalies neurophysiologiques objectives ont été identifiées chez des patients atteints de fibromyalgie, mais qu’elles ne peuvent servir dans un cadre clinique au diagnostic ou aux soins des personnes atteintes de fibromyalgie [Niveau 5, Grade D].

12. Les patients et les professionnels de la santé, devraient reconnaître que des facteurs génétiques, de même que des événements traumatiques antérieurs, peuvent être en cause dans l’apparition de la fibromyalgie, mais, qu’il est déconseillé d’accorder une attention exagérée à un événement déclencheur, car cela peut compromettre les soins au patient [Niveau 5, Grade D].

Section 2 : prise en charge

13. L’approche thérapeutique visant les patients souffrant de fibromyalgie devrait intégrer des principes de prise en charge autonome, dans un cadre multi facettes [Niveau 1, Grade A]. Il est recommandé de porter attention à chacun des symptômes dans le contexte d’une approche personnalisée, tout en assurant une surveillance étroite et un suivi constant, principalement au début de la prise en charge [Niveau 5, Grade D].

14. À l’instauration du traitement, on devrait encourager les patients à cibler des objectifs précis, relatifs à l’état de santé et la qualité de vie, ainsi que procéder à la réévaluation des objectifs tout au long du suivi [Niveau 5, Grade D].

15. Les approches non pharmacologiques comprenant la participation active du patient, devraient faire partie intégrale du plan thérapeutique de la prise en charge de la fibromyalgie [Niveau 1, Grade A]. La promotion de l’auto-efficacité et le soutien social favoriseront la pratique de modes de vie sains [Niveau 3, Grade D].

16. Dans la mesure du possible, on devrait encourager les personnes atteintes de fibromyalgie à mener une vie normale, par la répartition ou l’augmentation progressive des activités, en vue de conserver ou d’améliorer la capacité fonctionnelle [Niveau 4, Grade D].

17. L’acquisition de capacités d’adaptation efficaces et la promotion de la prise en charge autonome sont favorisées par une approche thérapeutique à composantes multiples [Niveau 5, Grade D].

18. On devrait faire la promotion des interventions visant à améliorer l’auto-efficacité afin d’aider les patients à composer avec les symptômes de fibromyalgie [Niveau 1, Grade A].

19. En regard de la détresse psychologique présente dans les cas de fibromyalgie, l’évaluation psychologique ou la consultation pourraient s’avérer bénéfiques pour cette clientèle [Niveau 5, Consensus]. De plus, on devrait sensibiliser les patients à reconnaître la présence de cette détresse et les informer de ses conséquences sur le bien-être [Niveau 3, Grade D].

20. La TCC, même sur une courte période, est utile pour aider à atténuer la crainte inspirée par la douleur et l’activité physique [Niveau 1, Grade A].

21. Les personnes qui souffrent de fibromyalgie devraient participer à un programme d’activité physique adapté de leur choix, afin de retirer les bienfaits globaux pour la santé et les répercussions possibles sur les symptômes de fibromyalgie [Niveau 1, Grade A].

22. Les patients devraient être informés du fait que pour le moment, nous ne disposons pas de données probantes pour appuyer le recours aux médecines douces et parallèles (MDP) pour la prise en charge des symptômes de fibromyalgie, les bienfaits probables n’ayant pas été évalués adéquatement [Niveau 1, Grade A].

23. Les patients devraient être incités à divulguer leur usage de MDP au professionnel de la santé qui doit faire preuve de compréhension et de tolérance envers cet aveu et fournir l’information disponible fondée sur la recherche relative à l’efficacité et aux risques [Niveau 5, Consensus].

24. Les médecins devraient identifier les symptômes les plus nuisibles afin d’orienter le traitement pharmacologique en fonction d’une approche ciblant les symptômes. Le choix pharmacologique idéal ciblera simultanément plusieurs symptômes et pourrait être constitué d’une combinaison de médicaments, auquel cas, il faudra tenir compte des interactions médicamenteuses [Niveau 5, Grade D].

25. Les traitements pharmacologiques devraient être amorcés par de faibles doses suivies de hausses progressives et prudentes, en vue d’éviter les intolérances aux médicaments [Niveau 5, Grade D], et suivis d’évaluations constantes en ce qui a trait à l’efficacité et à l’apparition des effets indésirables, tout en étant conscients que les effets indésirables attribuables aux médicaments peuvent présenter des similitudes avec les symptômes de fibromyalgie [Niveau 5, Consensus].

26. Les médecins qui recommandent les médicaments pour la fibromyalgie, devraient avoir l’esprit ouvert et être conscients du grand éventail de produits offerts pour soigner ces symptômes, et ne devraient pas restreindre le traitement à une seule classe de médicaments [Niveau 5, Consensus].

27. Conformément à la hiérarchie par paliers des antalgiques de l’Organisation mondiale de la santé, l’acétaminophène (paracétamol) peut convenir à certains patients tout en s’assurant de s’en tenir à un dosage sécuritaire [Niveau 5, Consensus].

28. Dans le cas où un AINS est recommandé, surtout en présence de maladies concomitantes comme l’arthrose, il devrait être utilisé à la plus faible dose et pendant la durée la plus courte possible, afin d’éviter l’apparition d’effets indésirables graves [Niveau 5, Grade D].

29. Une tentative avec les opioïdes, en débutant par un produit à faible dose comme le tramadol, devrait être réservée aux patients qui présentent des douleurs d’intensité modérée à forte, et qui n’ont pas été soulagés par le biais des autres approches thérapeutiques [Niveau 2, Grade D].

30. L’usage d’opioïdes puissants est déconseillé et, de plus, les patients qui persistent à utiliser les opioïdes devraient démontrer une amélioration de la douleur et de la capacité fonctionnelle. Les professionnels de la santé doivent exercer une surveillance continue du maintien de l’efficacité, des effets indésirables et des comportements aberrants à l’égard des médicaments [Niveau 5, Grade D].

31. L’essai d’un traitement pharmacologique de cannabinoïdes sous ordonnance pourrait être envisagé pour un patient aux prises avec la fibromyalgie, particulièrement en situation de perturbations appréciables du sommeil [Niveau 3, Grade C].

32. On devrait expliquer aux patients qui souffrent de fibromyalgie, les effets modulateurs de la douleur attribuables aux antidépresseurs, afin de dissiper la notion voulant qu’il s’agisse d’un symptôme d’origine psychologique [Niveau 5, Grade D].

33. Toutes les classes de médicaments antidépresseurs, y compris les ATC, les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine ainsi que les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine-noradrénaline, peuvent servir au traitement de la douleur et autres symptômes chez les patients atteints de fibromyalgie [Niveau 1, Grade A], le choix étant déterminé par la présence de données appuyant l’efficacité, la connaissance du médecin, les caractéristiques relatives au patient ainsi que l’attention portée au profil d’effets indésirables [Niveau 5, Consensus].

34. L’effet modulateur de la douleur relié à l’usage des médicaments anticonvulsivants, devrait être expliqué et le traitement devrait être entrepris à la plus faible dose possible, suivie d’un ajustement à la hausse, tout en surveillant l’apparition d’effets indésirables [Niveau 1, Grade A].
35. Les médecins devraient savoir, que seules la prégabaline et la duloxétine, sont approuvées par Santé Canada pour la prise en charge des symptômes de la fibromyalgie, et que toutes les autres thérapies pharmacologiques représentent des produits dont l’emploi est non conforme [Niveau 5, Consensus].

Section 3 : évolution de l’état de santé
36. Le suivi clinique devra reposer sur le jugement du médecin ou de l’équipe soignante et comportera généralement des visites plus rapprochées au début de la prise en charge, et ce jusqu’à la stabilisation des symptômes. [Niveau 5, Consensus].

37. Dans le contexte du suivi continu d’un patient atteint de fibromyalgie, toute nouvelle manifestation symptomatique devrait faire l’objet d’une évaluation clinique afin d’éliminer la possibilité que ce symptôme soit attribuable à une autre maladie [Niveau 5, Consensus].

38. Les patients devraient être informés que l’évolution de l’état de santé chez plusieurs personnes est favorable, même si au fil du temps les symptômes de fibromyalgie sont modulés par un cycle d’exacerbation et de latence [Niveau 3, Grade B].

39. On devrait offrir aux patients qui ont subi au cours de leur vie des traumatismes qui ont altéré leur bien-être psychologique, et qui n’ont pas été pris en charge efficacement, un soutien approprié en vue de favoriser l’atteinte des objectifs en matière d’évolution de l’état de santé [Niveau 5, Consensus].

40. Les médecins devraient être à l’affût de facteurs tels que la passivité, le faible locus de contrôle interne et la présence d’un trouble de l’humeur, car ces derniers nuisent à une bonne évolution de l’état de santé [Niveau 5, Consensus].

41. Il est possible de mesurer l’évolution de l’état de santé par une approche de médecine narrative ou à l’aide du PGIC (patient global impression of change) sans avoir recours à des questionnaires plus complexes [Niveau 3, Grade C].

42. Les objectifs du patient ainsi que leurs niveaux d’atteinte devraient être documentés et servir d’approche de suivi de l’évolution de l’état de santé [Niveau 5, Consensus].

43. L’examen des points sensibles douloureux ne devrait pas servir de critère d’évaluation [Niveau 3, Grade C].

44. L’évolution de l’état de santé étant généralement moins favorable chez les gens sans emploi, les médecins devraient inciter les patients à demeurer en emploi et, lorsque nécessaire, faire des recommandations visant la conservation d’un niveau de productivité optimal [Niveau 3, Grade C].

45. Les patients aux prises avec la fibromyalgie, qui sont en congé de maladie depuis longtemps, devraient être encouragés à participer à un programme de réhabilitation adapté, visant l’amélioration de la capacité fonctionnelle et, si possible, le retour en emploi [Niveau 5, Grade D].

46. Chez les personnes qui souffrent de fibromyalgie, il est essentiel de reconnaître les autres maladies concomitantes comme la dépression, et d’en assurer la prise en charge en vue d’abaisser les coûts de soins de santé [Niveau 3, Grade C].

samedi 10 novembre 2012

Prise en charge de la douleur : droit des patients et obligations des soignants

La revue Médecine & Droit propose à ses lecteurs un article de 3 pages sur les droits des patients et les obligations du médecin en termes de prise en charge de la douleur. Code de déontologie médicale, charte de la personne hospitalisée, loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, certification des établissements de santé : tous ces référentiels concourent à une amélioration des pratiques… et au respect des droits des patients.




Le texte de cet article est court, synthétique et résume très bien le cadre juridique actuel. Il rappelle notamment que le médecin est soumis à 2 types d’obligations différentes :
  • Une obligation de résultat en ce qui concerne la prévention, l’évaluation et la prise en compte de la douleur du patient. Prévention, évaluation : il est assez simple d’évaluer le respect des bonnes pratiques (protocoles, utilisation d’échelles d’évaluation…). Par contre, l’obligation de prise en compte de la douleur reste un concept assez flou. Il faut malgré tout savoir qu’un manque de communication, traduit par le patient comme un défaut de considération, est la source la plus fréquente de litiges…
  • Une obligation de moyens en termes de traitement, sans obligation de résultat, du fait de l’existence de douleurs décrites par l’auteur comme « non traitables (notamment certaines douleurs cancéreuses ou neuropathiques) » (sic). Par ailleurs, le médecin bénéficie d’une liberté de prescription, pourvu que cette liberté respecte les règles de l’art et la volonté du patient.

En cas de litige, 2 types de documents seront expertisés :
  • Le dossier du patient, à la recherche d’une adéquation entre l’évaluation de la douleur et le traitement proposé (il est donc capital d’y consigner toutes ces données) ;
  • Le protocole de soin : rédigé pour offrir une réponse standardisée aux problèmes fréquents, il témoigne de la qualité de l’organisation mise en place. Cependant, il ne doit pas être considéré comme une sorte de rempart juridique ni empêcher une prise en charge personnalisée des situations les plus complexes…

A la lecture de cet article, une chose est claire : la prise en charge de la douleur doit répondre autant à des exigences humanistes que juridiques…





samedi 3 novembre 2012

CHRONODOL® : quels patients adresser à une structure d’étude et de traitement de la douleur chronique ?

Cette question mérite d’être posée. En effet, 20% de la population française présenterait une douleur chronique d’intensité modérée à sévère [1]. Il est bien évident que les structures d’étude et de traitement de la douleur chronique (SDC) (voir article de mon blog) ne sont pas en capacité de prendre en charge plus de 10 millions de français, si motivées soient-elles… Ce n’est d’ailleurs pas leur rôle : la prise en charge de la douleur chronique fait partie des missions de l’ensemble des professionnels de santé, les SDC ne devant être sollicitées que pour les situations les plus « rebelles ». Encore faut-il que la prise en charge globale de ces situations complexes soit précoce, avant que les facteurs de chronicisation ne soient trop nombreux (voir article de mon blog)

Or le constat de la Haute Autorité de Santé est le suivant [2] : lorsqu’ils sont adressés à une SDC, la douleur des patients évolue depuis plus de 2 ans dans 53% des cas (étude réalisée en 2009). Un recours plus précoce aux SDC semble donc nécessaire : c’est ce qu’a bien compris l’Agence Régionale de Santé du Centre en intégrant à son Projet Régional de Santé 2012-2016 un volet spécifique « douleur chronique ». Cette attitude est à saluer, car un tel volet n’a rien d’obligatoire : elle témoigne d’un vrai engagement institutionnel et des liens forts bâtis au fur et à mesure des années entre l’ARS et les professionnels des SDC de cette région. Un des axes du volet « douleur chronique » a pour objectif « d’identifier rapidement, au domicile et en hospitalisation, les syndromes douloureux chroniques ou susceptibles de le devenir ». C’est en fin d’année 2011 qu’est né le projet CHRONODOL®...




Confié à l’association INDOLOR, ce projet a été mise en œuvre en partenariat avec l’ARS du Centre (dans le cadre de sa politique régionale), l’Association Francophone pour Vaincre les Douleurs (AFVD, association de patients ayant obtenu l'agrément national pour représenter les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique) et les laboratoires SANOFI (soutien financier d’un projet sur le thème « maladies chroniques et territoire »). L’objectif était de créer un outil d’aide à la décision, destiné aux professionnels de santé, pour les aider à identifier précocement les patients pour qui le recours à une SDC doit être envisagé. Après 9 mois de travail collectif, j’ai le plaisir d’annoncer la naissance de CHRONODOL® !




CHRONODOL®, c’est aujourd’hui un dépliant qui regroupe :
  • Des données sur le syndrome douloureux chronique [3] et sur les apports des SDC
  • Une grille d’items pour guider la décision du professionnel de santé
  • La liste des SDC de la région Centre, avec des coordonnées complètes



samedi 27 octobre 2012

Recherche clinique sur les médicaments antalgiques : le cliché reste flou…

Etats-Unis d’Amérique (USA), 1997 : la Food and Drug Administration (FDA) se modernise et décide de créer une base de données permettant au public d’accéder à des informations sur le développement de nouveaux médicaments. Dix en plus tard, en 2007, la FDA va encore plus loin en imposant l’inscription de tout nouvel essai clinique de phase II à IV dans cette base de données (consultable gratuitement sur le site http://www.ClinicalTrials.gov). L’objectif est clair : donner accès à tous aux dernières recherches et à leurs résultats, qui doivent être déposés au maximum 1 an après la fin des travaux menés. Problème : ces résultats ne sont disponibles que dans moins d’un cas sur 10…

Qu’en est-il pour les essais cliniques menés dans le champ de la douleur chronique ? Une base de données spécifique (RReACT database) a pu être mise en place grâce à un partenariat entre les pouvoirs publics américains et l’industrie pharmaceutique : elle comprend les essais cliniques menés dans le cadre de la prise en charge des douleurs post-zostériennes (DPZ), des neuropathies périphériques diabétiques (NPD) et de la fibromyalgie (FM).





Une photographie a été prise le 1er décembre 2011 [1] : la base RReACT comprenait alors 373 essais cliniques (dont 93 concernaient les DPZ, 116 la fibromyalgie et 164 les NPD) dont 229 étaient achevés. Parmi ces 229 études achevées :
  • Les résultats avaient fait l’objet d’une présentation scientifique seulement dans 2 cas sur 3 ; il pouvait s’agir d’un article, d’un poster ou d’une communication dans un congrès ;
  • Ces résultats avaient été publiés en revue scientifique avec comité de lecture et « évaluation par les pairs » (peer-review journal) dans seulement 2 cas sur 5.




Pourquoi un tel constat ? Pourquoi dépenser autant d’argent dans un essai clinique sans en publier les résultats ? La raison principale est la suivante : une étude dont les résultats sont positifs (effet antalgique démontré du médicament testé) a toute les chances d’être soumise par les promoteurs à une revue scientifique, ce qui est loin d’être le cas des études dites « négatives » (effet antalgique non démontré). D’un point de vue général (pour tout type de médicament, antalgique ou non), l’expérience montre 97% des études positives sont publiées, contre seulement 33% des études négatives…

Au final, les bases de données créées n’atteignent pas leur objectif initial de transparence : elles ne reflètent que de façon trop partielle (partiale ?) les résultats des études cliniques menées. Il reste donc beaucoup de travail avant de pouvoir proposer une vision complète, non biaisée et universelle de l’état de la recherche sur les antalgiques…




Référence :

samedi 20 octobre 2012

Quand la colère gronde… la douleur chronique s'aggrave !

Lorsqu'une douleur évolue depuis plus de 3 (à 6) mois, elle est qualifiée de douleur chronique. Certaines douleurs chroniques vont évoluer favorablement, avec un retentissement modéré ; d'autres vont se transformer en un véritable syndrome douloureux chronique, tel que défini par la Haute Autorité de Santé (douleur évoluant depuis plus de 3 à 6 mois avec un retentissement sur le plan physique et/ou psychologique et/ou social). Question importante : quels sont les facteurs qui font qu'une douleur chronique se transforme en syndrome douloureux chronique ?



Plusieurs ateliers [1,2] et posters (par exemple [3]) du 14e congrès mondial sur la douleur (Milan, Italie, 27 au 31 août 2012) ont abordé cette question. Premier élément de réponse : ces facteurs sont nombreux ; l'analyse de 69 articles publiés en revue scientifique a fait ressortir 221 facteurs de risque différents. Présenté comme cela, la recherche de ces facteurs ne semble pas présenter un grand intérêt pour les patients et pour les soignants. C'est d'ailleurs ce qu'un congressiste a pu exprimer lors de la discussion de l'atelier TW27 [1] : ne faut-il pas arrêter de dépenser autant d'énergie, pour ne pas dire autant d'argent, pour consacrer plus de temps aux patients eux-mêmes ? Question polémique mais pleine de bon sens…
Pour autant, certains facteurs sortent nettement du lot et méritent d'être mieux connus, car ils peuvent constituer des cibles thérapeutiques très pertinentes :
  • Le catastrophisme, qui fait toujours envisager le pire et qui empêche le patient de se projeter vers une évolution favorable ;
  • La peur du mouvement, ou kinésiophobie ("si je fais telle activité, je risque d'avoir mal, donc je ne la fais plus"), qui pousse le patient à éviter progressivement de plus en plus d'activités par peur d'avoir plus mal et/ou d'aggraver son état ;
  • La colère, et notamment la colère induite par un fort sentiment d'injustice ("je ne mérite pas cela"). Cette colère peut être orientée vers soi-même ou vers un tiers (conjoint, employeur, assurance maladie, soignant…) et retarder la mise en place de stratégies d'adaptation.

Ces 3 facteurs sont les cibles principales des thérapies cognitives et comportementales utilisées face à la douleur chronique (voir article de mon blog), dont l'objectif est d'améliorer le sentiment d'auto-efficacité (voir article de mon blog). Au programme :
  • Travail "cognitif" sur les pensées catastrophistes, lorsqu'elles existent, par une confrontation à la réalité ;
  • Travail "comportemental", notamment par exposition progressive aux situations évitées ;
  • Travail "d'acceptation" de la chronicité de la douleur, en investissant des stratégies conformes à ses valeurs ;
  • Travail sur la "gestion du stress", par exemple par investissement de la relaxation.

Parmi les facteurs d'évolution défavorable, le sentiment d'injustice a été décrit par les intervenants de l'atelier TW48 [2] comme le plus difficile à appréhender. En effet, toute injustice perçue implique une quête (parfois obsédante) de réparation ; chez le patient présentant une douleur chronique, cela peut se traduire par un comportement démonstratif et de l'agressivité envers l'entourage (familial, professionnel, soignant), et donc induire des conflits et/ou des rejets… ce qui aggrave encore le sentiment d'injustice et d'incompréhension. Un véritable cercle vicieux peut alors se mettre en place. Ne pas répondre à la colère par de la colère, aider à relativiser : la prise en compte de ce sentiment d'injustice est fondamentale pour aider le patient à se projeter à nouveau dans l'avenir.

Colère, catastrophisme, peur du mouvement, sentiment d'injustice : tous ces facteurs peuvent cohabiter chez un même individu et évoluer indépendamment les uns des autres dans le temps. Complexe, vous avez dit complexe? Manifestement, il reste du chemin à parcourir en termes de prévention secondaire* de la douleur chronique…




* prévention secondaire = empêcher la douleur chronique d'évoluer (défavorablement) vers un syndrome douloureux chronique

mercredi 17 octobre 2012

Structures spécialisées « douleur chronique » : l’annuaire nouveau est arrivé

Dans mon post du lundi 13 août 2012, j’expliquais que le ministère de la santé était en train de finaliser un nouvel annuaire des structures d’étude et de traitement de la douleur chronique. Du fait de la parution d’un nouveau cahier des charges le 19 mai 2011 (voir article de mon blog), il a fallu mettre en œuvre une démarche nationale d’identification des structures qui respectent réellement les exigences requises. Une fois cette identification réalisée au de chaque région, le ministère a du collecter l’ensemble des données nécessaires à la mise en ligne d’un annuaire complet.




C’est maintenant chose faite : depuis la journée mondiale contre la douleur du 15 octobre 2012, une carte de France interactive (il suffit de cliquer sur une région pour faire apparaître la liste des structures) est mise à disposition du grand public.




Source : Les structures spécialisées douleur chronique (SDC). Site santé du Ministère des affaires sociales et de la santé


Information complémentaire issue de la même source : texte explicatif sur les « structures spécialisées douleur chronique »

Les structures spécialisées prennent en charge les douleurs chroniques. Une douleur est dite chronique dès lors qu’elle est persistante ou récurrente (le plus souvent au-delà de 6 mois), qu’elle répond mal au traitement et qu’elle induit une détérioration fonctionnelle et relationnelle. Chez les patients les plus sévèrement affectés, elle peut par ailleurs s’accompagner des facteurs de renforcement que sont des manifestations psychopathologiques, une demande insistante de recours à des médicaments ou des procédures médicales souvent invasives, ainsi qu’une difficulté à s’adapter à la situation.

Ces structures ne prennent pas en charge toutes les douleurs. Par exemple les douleurs aiguës provoquées par une crise d’appendicite, un infarctus du myocarde, une hémorragie cérébrale ou une fracture de jambe doivent être prises en charge par d’autres équipes soignantes (votre médecin, les services d’urgence, les services de chirurgie, de cardiologie, de chirurgie, etc.). Cette différence rappelle que toute douleur doit faire l’objet d’un diagnostic (recherche de la cause). Sans diagnostic, il ne peut pas y avoir de bonne prise en charge de la douleur.

C’est pourquoi votre médecin traitant a un rôle primordial permettant que ces structures puissent concentrer leurs moyens et leurs efforts sur les patients relevant d’elles.

La prise en charge de ces douleurs nécessite la collaboration de plusieurs spécialistes de disciplines différentes.

Les structures spécialisées sont toutes hébergées en établissement de santé et labellisées par les agences régionales de santé (ARS) : elles doivent en effet satisfaire à des critères bien précis qui ont été revus en mai 2011.

Deux niveaux (ou grades) de SDC existent :
  • les consultations d’une part, qui assurent une prise en charge pluri-professionnelle c’est-à-dire une prise en charge en équipe (médecin, infirmier, psychologue) ;
  • les centres d’autre part, qui réalisent une prise en charge médicale pluridisciplinaire c’est-à-dire plusieurs médecins de différentes spécialités (neurologue, psychiatre, orthopédiste, etc.) . Vous pouvez avoir accès à des lits d’hospitalisation

Vous trouverez dans cette rubrique l’annuaire national qui est le fruit de la labellisation conduite par chaque agence régionale de santé sous la coordination de la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS).

Cet annuaire se veut être un outil facilitant l’accès à ces structures. Il liste, pour chaque région, les SDC labellisées et indique leurs coordonnées géographiques précises, le nom de leur médecin responsable, leur contact téléphonique (secrétariat). Il permet de repérer les structures pour lesquelles une spécialité pédiatrique a été identifiée (toutes les SDC accueillent cependant les enfants, de part leur polyvalence).

Cet annuaire est évolutif. Il tiendra compte des changements communiqués par les référents en ARS (créations, modifications). Il est destiné à être complété à terme par la mention de spécificités (par pathologie douloureuse, par spécialité thérapeutique) pour la mise en place de filières plus spécialisées (les SDC restant néanmoins toutes polyvalentes).

Dans la mesure où les SDC sont des structures de recours (hautement spécialisées) accessibles non pas directement par les patients mais sur avis préalable d’un médecin (haute autorité de la santé, avril 2009), cet annuaire est en priorité destiné aux professionnels de santé qui pourront ainsi connaitre l’existence des SDC de proximité (les consultations) ou dotées d’hospitalisation et de plateaux techniques (les centres).

samedi 13 octobre 2012

Douleur de la fibromyalgie : associations de malfaiteurs ?


Nombreux sont les patients présentant un syndrome fibromyalgique, nombreuses sont leurs questions et nombreux sont leurs échanges sur internet (réseaux sociaux, forums, sites d'associations…). A l'issue du congrès mondial 2012 sur la douleur (Milan, Italie, du 27 au 31 août), les professionnels de santé ont-ils plus d'éléments à offrir à la communauté "fibromyalgie 2.0" ? Peut-être bien…



Un des 70 "topical workshops" de ce congrès a été consacré à la physiopathologie de la fibromyalgie : les 3 intervenants ont tenté de résumer les données des nombreuses recherches publiées sur la question. Une chose est sûre, leurs exposés se concluent sur des hypothèses et non pas sur des certitudes. Néanmoins, 2 idées clés peuvent être dégagées :

1. Le muscle, le nerf ou le cerveau ?

Beaucoup d'incertitudes demeurent sur les structures anatomiques responsables des douleurs du syndrome fibromyalgique. Quel est le principal coupable ?
  • Le muscle ? Si la fibromyalgie porte ce nom, c'est bien parce que les douleurs sont ressenties par les patients au niveau des muscles et des tendons. Par ailleurs, plusieurs études ont retrouvé des anomalies au niveau musculaire : trouble de la circulation sanguine (voire ischémie), présence de diverses substances chimiques "algogènes"…
  • Le nerf ? Les nocicepteurs présents dans les muscles peuvent être activés par l'ischémie tissulaire puis sensibilisés par les substances algogènes, de sorte que le nerf transmet en permanence des influx douloureux…
  • Le cerveau ? Un faisceau d'arguments semble plaider en faveur de sa culpabilité (voir article de mon blog) : l'association fréquente de la fibromyalgie à d'autres pathologies suspectes de mécanismes centraux (intestin irritable, cystite interstitielle, fatigue chronique…) ; la fréquence des "traumatismes" au sens large (accidents, agressions, enfance difficile…) ; l'efficacité chez certains patients de médicaments à action cérébrale (antidépresseurs, anti-épileptiques) et/ou de techniques de stimulation cérébrale (voir article de mon blog).
Les suspects sont nombreux, mais les preuves sont insuffisantes pour inculper l'un plutôt que l'autre. Il est fort probable que la fibromyalgie découle d'une véritable association de malfaiteurs. Les rôles respectifs du muscle, du nerf et du cerveau dans cette affaire restent cependant à déterminer… 

2. La fibromyalgie est-elle une maladie ?

Cette question est difficile mais essentielle pour un grand nombre de patients. L'hypothèse proposée dans cet atelier est la suivante : la fibromyalgie serait plutôt un syndrome qui aurait besoin d'une autre maladie pour se développer. Premier argument, il existe une telle variabilité interindividuelle en termes de symptômes qu'il semble difficile de "faire rentrer" tous les patients dans la même "case". La fibromyalgie correspondrait plutôt à un "réunion d'éléments distincts", étymologie du mot "syndrome". Second argument : le syndrome fibromyalgique est le plus souvent associé à une autre maladie rhumatologique, neurologique ou psychiatrique. Cette maladie sous-jacente constituerait un terrain fragilisé, propice et nécessaire au développement de la fibromyalgie. Parmi les quelques 2000 communications affichées lors de ce congrès, plusieurs dizaines concernaient de près ou de loin des études menées dans la fibromyalgie. La diversité des anomalies retrouvées et l'extrême variabilité interindividuelle de réponse à de nombreux traitements correspond tout à fait à la réalité des échanges sur les réseaux sociaux : chaque situation est différente… contrairement aux signes (relativement) constants retrouvés dans une maladie…



Alors, au final, qui est le véritable cerveau de la fibromyalgie ? S'agit-il d'une maladie en tant que telle ou d'un mode d'expression particulier, voire d'une complication d'une autre maladie ? Le débat reste ouvert, il ne manquera pas de se poursuivre en version 2.0 !