samedi 20 octobre 2012

Quand la colère gronde… la douleur chronique s'aggrave !

Lorsqu'une douleur évolue depuis plus de 3 (à 6) mois, elle est qualifiée de douleur chronique. Certaines douleurs chroniques vont évoluer favorablement, avec un retentissement modéré ; d'autres vont se transformer en un véritable syndrome douloureux chronique, tel que défini par la Haute Autorité de Santé (douleur évoluant depuis plus de 3 à 6 mois avec un retentissement sur le plan physique et/ou psychologique et/ou social). Question importante : quels sont les facteurs qui font qu'une douleur chronique se transforme en syndrome douloureux chronique ?



Plusieurs ateliers [1,2] et posters (par exemple [3]) du 14e congrès mondial sur la douleur (Milan, Italie, 27 au 31 août 2012) ont abordé cette question. Premier élément de réponse : ces facteurs sont nombreux ; l'analyse de 69 articles publiés en revue scientifique a fait ressortir 221 facteurs de risque différents. Présenté comme cela, la recherche de ces facteurs ne semble pas présenter un grand intérêt pour les patients et pour les soignants. C'est d'ailleurs ce qu'un congressiste a pu exprimer lors de la discussion de l'atelier TW27 [1] : ne faut-il pas arrêter de dépenser autant d'énergie, pour ne pas dire autant d'argent, pour consacrer plus de temps aux patients eux-mêmes ? Question polémique mais pleine de bon sens…
Pour autant, certains facteurs sortent nettement du lot et méritent d'être mieux connus, car ils peuvent constituer des cibles thérapeutiques très pertinentes :
  • Le catastrophisme, qui fait toujours envisager le pire et qui empêche le patient de se projeter vers une évolution favorable ;
  • La peur du mouvement, ou kinésiophobie ("si je fais telle activité, je risque d'avoir mal, donc je ne la fais plus"), qui pousse le patient à éviter progressivement de plus en plus d'activités par peur d'avoir plus mal et/ou d'aggraver son état ;
  • La colère, et notamment la colère induite par un fort sentiment d'injustice ("je ne mérite pas cela"). Cette colère peut être orientée vers soi-même ou vers un tiers (conjoint, employeur, assurance maladie, soignant…) et retarder la mise en place de stratégies d'adaptation.

Ces 3 facteurs sont les cibles principales des thérapies cognitives et comportementales utilisées face à la douleur chronique (voir article de mon blog), dont l'objectif est d'améliorer le sentiment d'auto-efficacité (voir article de mon blog). Au programme :
  • Travail "cognitif" sur les pensées catastrophistes, lorsqu'elles existent, par une confrontation à la réalité ;
  • Travail "comportemental", notamment par exposition progressive aux situations évitées ;
  • Travail "d'acceptation" de la chronicité de la douleur, en investissant des stratégies conformes à ses valeurs ;
  • Travail sur la "gestion du stress", par exemple par investissement de la relaxation.

Parmi les facteurs d'évolution défavorable, le sentiment d'injustice a été décrit par les intervenants de l'atelier TW48 [2] comme le plus difficile à appréhender. En effet, toute injustice perçue implique une quête (parfois obsédante) de réparation ; chez le patient présentant une douleur chronique, cela peut se traduire par un comportement démonstratif et de l'agressivité envers l'entourage (familial, professionnel, soignant), et donc induire des conflits et/ou des rejets… ce qui aggrave encore le sentiment d'injustice et d'incompréhension. Un véritable cercle vicieux peut alors se mettre en place. Ne pas répondre à la colère par de la colère, aider à relativiser : la prise en compte de ce sentiment d'injustice est fondamentale pour aider le patient à se projeter à nouveau dans l'avenir.

Colère, catastrophisme, peur du mouvement, sentiment d'injustice : tous ces facteurs peuvent cohabiter chez un même individu et évoluer indépendamment les uns des autres dans le temps. Complexe, vous avez dit complexe? Manifestement, il reste du chemin à parcourir en termes de prévention secondaire* de la douleur chronique…




* prévention secondaire = empêcher la douleur chronique d'évoluer (défavorablement) vers un syndrome douloureux chronique