mercredi 22 février 2012

Clonazépam (RIVOTRIL®) : chronique d'une mort annoncée

Dès le 15 mars 2012, les formes orales de clonazépam (RIVOTRIL®) seront réservées à la prescription des neurologues et des pédiatres, uniquement dans le cadre de l’épilepsie (conformément à son autorisation de mise sur le marché). C’est l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) qui a pris cette décision [1], du fait d’un usage détourné du produit par les toxicomanes, mais aussi du fait d’un rapport bénéfice-risque non établi, voire défavorable dans le traitement de l’insomnie ou de la douleur. Cette décision devrait mettre fin à des décennies de prescription de RIVOTRIL®, sans aucune preuve d’efficacité dans un contexte de douleur chronique. Dès 2006, un certain nombre d’entre nous [2] avait pointé la non-pertinence de cette exception française : aucun autre pays du monde n’utilise le RIVOTRIL® pour traiter la douleur !

Cette opinion a été confortée par les recommandations [3] de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD) consacrées aux douleurs neuropathiques chroniques (janvier 2010). Le positionnement des auteurs est le suivant : "Il n'y a pas lieu de recommander le clonazépam dans le traitement des douleurs neuropathiques du fait de l'absence de preuve d'efficacité dans ces douleurs et du risque potentiel de dépendance au long cours. Si ce traitement à faibles doses est peu coûteux et peut avoir un bénéfice sur les troubles du sommeil ou l'anxiété associés à la douleur, il en est de même pour d'autres traitements démontrés efficaces dans les douleurs neuropathiques".

Durant l’année 2011, j’ai mené une enquête (non publiée) auprès des patients que je rencontrais pour la première fois en consultation et qui utilisaient du RIVOTRIL®. Les résultats étaient consternants : sur 40 patients répertoriés, seuls 2 (soit 5%) estimaient bénéficier d’un soulagement ! A l’inverse, 29 patients (soit 73%) présentaient des effets secondaires, essentiellement une sédation excessive… Au sein de cette population, de 54 ans de moyenne d’âge et utilisant en moyenne 11 gouttes de RIVOTRIL® par jour, la grande majorité était donc (sic) « shootée mais pas soulagée »…

Depuis 2 ans, les pouvoirs publics multiplient les arrêtés publiés au Journal Officiel : limitation de la prescription à 12 semaines (12 octobre 2010), puis à 28 jours (24 août 2011) et enfin interdiction de la prescription en dehors de l’épilepsie (15 mars 2012). Pour accompagner ces mesures, l’AFSSAPS a publié en novembre 2011 une mise au point, intitulée "Clonazépam (RIVOTRIL®) per os utilisé hors AMM (notamment dans la douleur, les troubles anxieux et du sommeil) - Pourquoi et comment arrêter ?".

Je rencontre encore aujourd’hui, au cours de mon activité clinique, un nombre non négligeable de patients utilisant du RIVOTRIL® ; dans certains cas la prescription est récente, dans d’autres les patients font des stocks avant la date fatidique… Interrogés par sondage en décembre 2011, les médecins membres de la SFETD se sont majoritairement (71%) déclarés prescripteurs réguliers ou occasionnels de RIVOTRIL®, essentiellement dans le cadre de douleurs neuropathiques. Parmi les 325 médecins ayant répondu au questionnaire, 3 sur 10 estiment qu’un sevrage sera difficile à réaliser chez plus de 25% des patients.

La fin du règne du RIVOTRIL® illustre parfaitement les difficultés à mettre en place une vraie réflexion bénéfice-risque pour toute prescription médicamenteuse. Cette réflexion vient heurter les habitudes (de prescription) et les impressions subjectives (d’efficacité et de sécurité d’emploi). Puisse cette fin de règne être bénéfique pour les patients et favoriser les approches, médicamenteuses ou non, ayant fait leur preuve pour soulager la douleur chronique…