La complexité de la prise en charge des
patients présentant un syndrome douloureux chronique pousse les soignants à
toujours plus d’innovation. Dans le meilleur des cas, l’émergence de nouveaux
traitements (médicamenteux ou non) s’accompagne d’une recherche clinique de
qualité, ce qui permet une généralisation progressive. Dans d’autres cas, les
années passent, les habitudes de prescription de développent, sans réelle
preuve d’efficacité et/ou de sécurité.
Ce fut le cas du RIVOTRIL®, traitement
extrêmement bon marché puisqu’un flacon de 500 gouttes ne coute que 2 euros. Le
coût de traitement journalier pour un patient qui consomme 10 gouttes de
RIVOTRIL® par jour n’est donc que de 4 centimes d’euros : pas de quoi
creuser le trou de la sécurité sociale ! Malheureusement, il aura fallu
des décennies pour s’apercevoir d’un rapport bénéfice-risque très défavorable…
N’est-il pas en train de se passer la
même chose avec la kétamine ? Cette molécule, utilisée en anesthésie, fait
l’objet d’un intérêt croissant du fait d’une action spécifique sur un des
nombreux récepteurs (dit NMDA) impliqués dans le contrôle du message
douloureux. A ce jour, les revues de la littérature [1,2] s’intéressant à
l’usage de la kétamine dans un contexte de douleur chronique posent toutes les
mêmes constats :
- efficacité au mieux modérée et de
courte durée ;
- nombreux effets secondaires
neuropsychologiques ;
- risque addictif ;
- absence de consensus sur la voie
d’administration à utiliser (intraveineuse, sous-cutanée, nasale,
orale ?) ;
- absence de consensus sur les doses à
utiliser ;
- absence de données d’efficacité et de
sécurité à long terme.
Pour l’ensemble de ces raisons,
l’utilisation de la kétamine ne peut actuellement s’envisager [1,2] que dans le
cadre d’un protocole de recherche, en attendant d’avoir des données plus
solides. Une étude nationale française est en cours de construction pour ce qui
est de la prise en charge des douleurs neuropathiques.
Pour autant, le recours à la kétamine en
dehors de tout protocole de recherche semble être en plein essor, notamment
pour la fibromyalgie, syndrome douloureux à la physiopathologie encore mal
élucidée. Qui plus est, ce type de pratique tend à se développer sans
évaluation rigoureuse du contexte psychosocial du patient !
Ne s’agirait-il pas d’un effet pervers de
la tarification à l’activité, cette fameuse « T2A », qui fait que les
établissements de santé se rémunèrent au nombre de séjours qu’ils
réalisent ? La kétamine étant, en France, un produit à usage hospitalier,
son utilisation nécessite une hospitalisation. La journée d’hospitalisation de
jour étant facturée à hauteur de 424,33€ (GHS R52.1 douleur chronique
irréductible, tarif 2011), l’opération peut rapidement rapporter gros (à
l’établissement) et donc coûter cher (à la collectivité). Plus de kétamine,
plus de séjours pour le service, plus de recettes pour l’établissement :
mais quel bénéfice pour le patient ?