Dès le 15 mars 2012, les formes
orales de clonazépam (RIVOTRIL®) seront réservées à la prescription des
neurologues et des pédiatres, uniquement dans le cadre de l’épilepsie
(conformément à son autorisation de mise sur le marché). C’est l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) qui a pris
cette décision [1], du fait d’un usage détourné du produit par les toxicomanes,
mais aussi du fait d’un rapport bénéfice-risque non établi, voire défavorable
dans le traitement de l’insomnie ou de la douleur. Cette décision devrait
mettre fin à des décennies de prescription de RIVOTRIL®, sans aucune preuve d’efficacité dans un contexte de douleur chronique.
Dès 2006, un certain nombre d’entre nous [2] avait pointé la non-pertinence de
cette exception française : aucun autre pays du monde n’utilise le
RIVOTRIL® pour traiter la douleur !
Cette opinion a été confortée par
les recommandations [3] de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD) consacrées aux douleurs neuropathiques chroniques (janvier
2010). Le positionnement des auteurs est le suivant : "Il n'y a pas lieu de recommander le clonazépam dans le traitement
des douleurs neuropathiques du fait de l'absence de preuve d'efficacité dans
ces douleurs et du risque potentiel de dépendance au long cours. Si ce
traitement à faibles doses est peu coûteux et peut avoir un bénéfice sur les
troubles du sommeil ou l'anxiété associés à la douleur, il en est de même pour
d'autres traitements démontrés efficaces dans les douleurs neuropathiques".
Durant l’année 2011, j’ai mené
une enquête (non publiée) auprès des patients que je rencontrais pour la
première fois en consultation et qui utilisaient du RIVOTRIL®. Les résultats
étaient consternants : sur 40 patients répertoriés, seuls 2 (soit 5%)
estimaient bénéficier d’un soulagement ! A l’inverse, 29 patients (soit
73%) présentaient des effets secondaires, essentiellement une sédation
excessive… Au sein de cette population, de 54 ans de moyenne d’âge et utilisant
en moyenne 11 gouttes de RIVOTRIL® par jour, la grande majorité était donc (sic) « shootée mais pas soulagée »…
Depuis 2 ans, les pouvoirs publics
multiplient les arrêtés publiés au Journal Officiel : limitation de la
prescription à 12 semaines (12 octobre 2010), puis à 28 jours (24 août 2011) et
enfin interdiction de la prescription en dehors de l’épilepsie (15 mars 2012).
Pour accompagner ces mesures, l’AFSSAPS a publié en novembre 2011 une mise au
point, intitulée "Clonazépam (RIVOTRIL®) per os utilisé hors AMM (notamment dans la douleur, les troubles anxieux et du sommeil) - Pourquoi et comment arrêter ?".
Je rencontre encore aujourd’hui,
au cours de mon activité clinique, un nombre non négligeable de patients
utilisant du RIVOTRIL® ; dans certains cas la prescription est récente,
dans d’autres les patients font des stocks avant la date fatidique… Interrogés par sondage en décembre 2011, les médecins membres de la SFETD se sont majoritairement (71%) déclarés prescripteurs réguliers ou occasionnels de RIVOTRIL®, essentiellement dans
le cadre de douleurs neuropathiques. Parmi les 325 médecins ayant répondu au
questionnaire, 3 sur 10 estiment qu’un sevrage sera difficile à réaliser chez
plus de 25% des patients.
La fin du règne du RIVOTRIL®
illustre parfaitement les difficultés à mettre en place une vraie réflexion
bénéfice-risque pour toute prescription médicamenteuse. Cette réflexion vient
heurter les habitudes (de prescription) et les impressions subjectives
(d’efficacité et de sécurité d’emploi). Puisse cette fin de règne être
bénéfique pour les patients et favoriser les approches, médicamenteuses
ou non, ayant fait leur preuve pour soulager la douleur chronique…