samedi 26 janvier 2013

Le questionnaire DN4 peut-il aussi prédire l’avenir ?

Le questionnaire DN4 (pour « douleur neuropathique en 4 questions ») a été créé pour dépister plus fréquemment la douleur neuropathique [1], qui concernerait 7% de la population française [2]. Il ne s’agit pas d’un outil de diagnostic à proprement parler, un examen clinique étant nécessaire pour poser le diagnostic de douleur neuropathique, mais d’une aide au repérage d’une éventuelle composante neuropathique chez les patients présentant un syndrome douloureux chronique.


Le DN4 a donc été créé pour identifier une douleur neuropathique installée ; malheureusement, la prise en charge de ce type de douleur est particulièrement difficile et souvent décevante pour les patients. D’où l’intérêt de travailler à sa prévention, ou tout au moins à l’identification des patients qui ont le plus de risques de développer une douleur neuropathique. Dans cette optique, le DN4 semble également capable de prédire l’avenir et donc remplacer la meilleure des boules de cristal !

Deux études françaises parues en 2012 dans la revue Pain (Elsevier) viennent conforter cette idée :
  • Chez les patients présentant un zona aigu [3] : parmi les facteurs de risque de développer des douleurs neuropathiques post-zostériennes (11,6% des cas 3 mois après l’éruption) figure en bonne place un score DN4 supérieur ou égal à 4 sur 10 ;
  • Après prélèvement chirurgical de crête iliaque [4], le score DN4 est statistiquement plus élevé (4,42/10 vs 2,37/10 en moyenne) chez les 23 % patients qui développent des douleurs neuropathiques.

Ces études vont dans le sens d’une utilisation systématique du DN4 si la douleur persiste dans le mois qui suit une potentielle lésion neurologique (traumatisme, chirurgie, infection…), pour identifier plus précocement les patients à risques de développer une douleur neuropathique chronique.


Références

samedi 19 janvier 2013

Lombalgie chronique : le Yoga pour tous ?

Bangalore, Inde, avril 2005 : la fondation pour la recherche sur le Yoga « Swami Vivekananda » lance une étude clinique visant à évaluer l’efficacité du Yoga dans un contexte de lombalgie chronique. Sur 80 patients étudiés, 40 ont bénéficié d’un programme standard d’activités physiques (essentiellement marche et stretching), les 40 autres ont été inclus dans un programme thérapeutique global basé sur le Yoga (stretching, relaxation, méditation, lectures sur la philosophie et le mode de vie prônés par le Yoga).


Les principaux résultats sont les suivants :
  • Intensité de la douleur : diminution de 49% dans le groupe « Yoga » contre 17% dans le groupe « standard » ;
  • Anxiété : diminution de 20% dans le groupe « Yoga » contre 1% dans le groupe « standard » ;
  • Dépression : diminution de 47% dans le groupe « Yoga » contre 20% dans le groupe « standard ».

Les auteurs en concluent que le Yoga est plus efficace que les exercices physiques standards. Puisque le Yoga est en plein essor, ils recommandant aux soignants de l’intégrer, à travers le monde, aux programmes de prise en charge globale de la lombalgie chronique… Cette conclusion est séduisante, mais cette étude démontre-t-elle vraiment la supériorité du Yoga ? A bien y regarder, elle compare surtout un programme physique basé sur le stretching à un autre programme associant le stretching et des méthodes de gestion du stress… De plus, du fait de l’existence de différentes écoles de pensées, les programmes standardisés de Yoga n’existent pas réellement.

Il serait donc plus logique de conclure que la gestion du stress (relaxation et/ou méditation) renforce l’efficacité du stretching dans la prise en charge de la lombalgie chronique. Assouplir et détendre : tels sont les objectifs universels…

samedi 12 janvier 2013

Opioïdes forts et douleur chronique en rhumatologie : les nouvelles recommandations de Limoges

Le Cercle d’Etude de la Douleur en Rhumatologie (CEDR) avait établi en 1999 des recommandations pour l’utilisation de la morphine dans les douleurs rhumatologiques non cancéreuses, communément appelées par les professionnels de santé « recommandations de Limoges » (les auteurs principaux exerçant à l’époque au centre hospitalier universitaire de Limoges). Depuis le 20e siècle, de l’eau a coulé sous les ponts ; nouvelles molécules, nouvelles voies d’administration, nouvelles pratiques, nouvelles publications scientifiques : il était temps de mettre à jour ces recommandations. C’est maintenant chose faite avec la parution des « recommandations de Limoges 2010 ».





L’objectif du CEDR était de fournir aux prescripteurs des « recommandations précises, pratiques et courtes concernant l’utilisation des opioïdes forts dans les douleurs ostéo-articulaires chroniques non cancéreuses ». Groupe de travail de 6 experts, groupe de lecture constitué de 20 autres professionnels, 958 références bibliographiques identifiées, 134 sélectionnées dont 18 essais randomisés, méthodologie stricte et gradation des niveaux de preuve : un gros travail a été effectué pour élaborer 30 recommandations à destination des médecins (liste complète en fin de ce post).




Premier regret : les données de la littérature scientifique ne permettent pas d’établir des recommandations solides. Malgré le nombre important de publications répertoriées et analysées, le niveau de preuve de ces 30 recommandations reste très faible, puisque 18 d’entre elles (soit 60%) ne résultent que d’un accord professionnel (pas de niveau de preuve démontré, opinion des experts), 8 recommandations sont de grade C (faible niveau de preuve scientifique), 2 sont de grade B (présomption scientifique) et 2 sont de grade A (preuve scientifique établie).

Deuxième regret : ces recommandations font malheureusement l’objet d’une publication tardive, plus de 2 ans après leur rédaction… Pourquoi un tel délai alors que la science a continué d’avancer dans l’intervalle ? Est-il si difficile de faire publier un article sur la place des opioïdes forts dans la prise en charge de la douleur chronique dans des revues scientifiques ? Cette thématique n’est-elle pas assez « politiquement correcte » ? Si tel est le cas, c’est bien dommage, car ce sujet essentiel est au cœur des préoccupations d’un bon nombre de professionnels de santé et de patients, qui ne peuvent que remercier la revue Douleurs (éditions Elsevier-Masson) d’avoir permis une telle publication.
Les opioïdes forts dans les douleurs ostéo-articulaires non cancéreuses : revue de la littérature et recommandations pour la pratique clinique : « Les recommandations de Limoges 2010 »
Recommandations préliminaires

1 - Il existe plusieurs études randomisées comparatives concernant les opioïdes forts dans les douleurs ostéo-articulaires chroniques. Dans ce contexte, de nouvelles recommandations basées sur les preuves scientifiques et l’avis d’experts ont été développées pour aider les cliniciens à utiliser les opioïdes forts dans les douleurs ostéo-articulaires chroniques. (Grade A)

2 - Les objectifs d’un traitement par opioïdes forts pour les douleurs rhumatologiques sont de diminuer la douleur et de réactiver la fonction de patients non améliorés par les autres traitements médicamenteux et non médicamenteux bien menés. (Accord professionnel)

3 - L’introduction d’un opioïde fort nécessite une démarche diagnostique complète. En cas de doute, il sera légitime de solliciter un avis spécialisé de prise en charge de la douleur. (Accord professionnel)

4 - Il n’y a pas de donnée clinique suffisante pour recommander d’utiliser un opioïde fort plutôt qu’un autre. Néanmoins, la forme per os est privilégiée en première intention, ainsi que les formes à libération prolongée. (Grade C)

Recommandations sur l’utilisation des opioïdes forts dans différentes pathologies douloureuses rhumatologiques

5 - Dans l’arthrose de hanche et de genou, les opioïdes forts peuvent être proposés après échec ou insuffisance d’action des traitements habituellement recommandés, ou lors d’une contre-indication à la chirurgie ou en attente de celle-ci. (Grade A)

6 - Dans l’arthrose de hanche et de genou, il est préférable d’utiliser des opioïdes forts à libération prolongée permettant d’agir sur la douleur et à un moindre degré sur la fonction. Pour les modalités précises de prescription, on se référera à la recommandation numéro 16. (Accord professionnel)

7 - Dans la lombalgie chronique, la prescription d’opioïdes forts ne peut être envisagée que chez des patients sélectionnés : (1) après échec des traitements conventionnels médicamenteux et non médicamenteux, (2) dans les cas où les composantes psychologique et/ou socioprofessionnelle ne sont pas prépondérantes, (3) avec un objectif fonctionnel, pour aider à la mise en place d’un programme réadaptatif, chez des patients réévalués très régulièrement. (Accord professionnel)

8 - Dans la lombosciatique chronique, lorsqu’il existe une composante neuropathique, les opioïdes forts ne peuvent être envisagés qu’après échec ou intolérance aux antidépresseurs tricycliques ou mixtes, aux anti-épileptiques et aux techniques non médicamenteuses recommandées dans le traitement des douleurs neuropathiques. (Grade C)

9 - Dans la cervicalgie chronique, la prescription d’opioïdes forts ne peut être envisagée que chez des patients sélectionnés : (1) après échec des traitements conventionnels médicamenteux et non médicamenteux, (2) dans les cas où les composantes psychologique et/ou socioprofessionnelle ne sont pas prépondérantes. (Grade C)

10 - Dans la polyarthrite rhumatoïde, les opioïdes forts peuvent être utilisés de façon prolongée ou en cures courtes en cas de douleurs résistantes aux autres traitements antalgiques, aux anti-inflammatoires, aux traitements de fond dont les biothérapies. (Grade C)

11 - Les opioïdes forts n’ont pas montré leur efficacité dans le traitement de la fibromyalgie et ne sont donc pas recommandés. (Grade C)

12 - Dans les douleurs chroniques des fractures vertébrales ostéoporotiques, les opioïdes forts peuvent être proposés après l’échec ou l’insuffisance d’action des traitements habituellement recommandés dans cette pathologie, pour soulager les patients et restaurer une autonomie. (Accord professionnel)

13 - La prescription d’un opioïde fort s’intègre dans un contrat de soins entre le médecin responsable de la prescription et le patient, délimitant les objectifs, les limites, les modalités et les critères d’arrêt du traitement. Une information claire doit être fournie au patient. (Accord professionnel)

14 - Un avis psychiatrique est conseillé chez les patients jeunes et est indispensable chez les patients atteints de troubles psychiatriques et/ou suspects d’abus. (Accord professionnel)

15 - En initiation, il est recommandé d’utiliser des formes per os à libération prolongée à une posologie de 20 à 60 mg/j (en équivalent morphine). (Accord professionnel)

16 - Les modalités de prescription peuvent être adaptées en fonction de l’horaire des douleurs (forme LP une seule fois par jour, le matin pour les douleurs mécaniques, le soir pour les douleurs nocturnes), de l’activité des patients ou de la survenue d’accès douloureux paroxystiques (formes à libération immédiate 30 à 60 minutes avant une activité ou au moment d’un accès douloureux). (Accord professionnel)

17 - Il est conseillé d’évaluer l’efficacité (sur la douleur et la fonction) et les éventuels effets indésirables de façon rapprochée pendant la titration. Après l’obtention de la dose efficace, les consultations seront adaptées au patient. Ce suivi doit être réalisé de préférence par le même médecin. (Accord professionnel)

18 - Le rapport bénéfice-risque doit être évalué avant chaque augmentation de posologie. (Accord professionnel)

19 - La dose efficace d’entretien n’est pas une dose définitive et doit être adaptée régulièrement. En cas d’augmentation rapide des besoins en opioïde fort, une réévaluation complète doit être effectuée. (Grade B)

Recommandations sur l’arrêt du traitement par opioïde fort dans les douleurs ostéo-articulaires chroniques

20 - Le traitement par opioïdes forts doit être arrêté en cas : (1) d’inefficacité sur la douleur, la fonction ou la qualité de vie en fonction des objectifs initiaux établis avec le patient, après une période test, (2) de mésusage, abus ou signes d’addiction, (3) d’amélioration nette de la symptomatologie douloureuse ou de la fonction permettant d’espérer un sevrage. (Accord professionnel)

21 - L’arrêt d’un traitement de longue durée doit être progressif pour éviter un syndrome de sevrage. (Grade B)

22 - En cas de difficulté de sevrage, le patient peut être adressé dans un centre de la douleur ou d’addictologie. (Accord professionnel)

23 - Chez les personnes âgées, les insuffisants rénaux et respiratoires, il est recommandé de diminuer les doses et/ou d’espacer les prises. Il peut être proposé une seule prise adaptée à l’activité et à la recrudescence des douleurs. La titration peut se faire par des formes à libération immédiate. (Grade C)

24 - L’association des opioïdes forts à du paracétamol ou aux AINS pourrait permettre une diminution de la consommation d’opioïdes forts et/ou les effets indésirables. (Accord professionnel)

25 - La constipation étant quasi constante, une prévention systématique doit être réalisée dès l’instauration du traitement associant mesures hygiénodiététiques et laxatifs. Un antagoniste opioïde peut être proposé. (Accord professionnel)

26 - En cas de constipation induite par les opioïdes, le renforcement des mesures hygiénodiététiques, l’augmentation du traitement laxatif, la recherche d’un fécalome et un traitement rectal sont préconisés. Un antagoniste opioïde peut être proposé. (Accord professionnel)

27 - La rotation pour un autre opioïde peut permettre de diminuer les nausées et les vomissements, la constipation, la sédation et les hallucinations. (Grade C)

28 - Le patient conduisant un véhicule doit être informé des risques de somnolence, les doses doivent être stables avec une évaluation régulière. (Grade C)

29 - À chaque visite, une évaluation clinique doit être réalisée avec recherche de signes de mésusage ou de dépendance psychique qui feront reconsidérer le traitement. (Accord professionnel)

30 - S’il existe des antécédents d’addiction ou des facteurs de risque de dépendance, le patient doit être suivi conjointement par un psychiatre. (Accord professionnel)

samedi 5 janvier 2013

Douleur du pêcheur : il y avait du plomb dans l’estomac…

La revue de médecine interne publie une observation clinique originale : il s’agit d’un patient de 21 ans admis à plusieurs reprises en service d’urgence pour des épisodes de douleurs abdominales aiguës à type de spasme. Le décès récent d’un proche avait orienté les soignants vers une colopathie fonctionnelle, entretenue par l’anxiété.





Lors d’une nouvelle admission, tous les examens se sont révélés normaux, en dehors de la radiographie d’abdomen sans préparation : des corps étrangers étaient visibles au sein du colon… Une intoxication au plomb a par la suite été détectée, grâce à de nouveaux examens sanguins.

L’intoxication au plomb peut être révélée par des douleurs abdominales, alors nommées « coliques de plomb ». Le plus souvent, elle concerne des personnes exposées au plomb durant leur activité professionnelles ou des enfants vivant dans des logements anciens et non rénovés. Le mystère restait donc entier jusqu’à ce que le patient ne trouve la solution : il fabriquait lui-même des lests en plomb pour la pêche, en les positionnant entre ses dents. Une partie de cette fabrication finissait manifestement dans son estomac…



 
Histoire de chasse, ou plutôt histoire de pêche, qui se finit bien dans le cas présent, mais qui aurait pu engendrer des lésions bien plus graves en cas d’intoxication plus importante…