Trois jour après sa parution, j'ai eu du mal à trouver l'ouvrage "Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux", publié aux éditions Cherche Midi par les professeurs de médecine Bernard Debré et Philippe Even. Une grande chaine de librairie m'a même précisé qu'il était déjà en rupture… signe d'un succès programmé ? Ayant finalement pu acheter un exemplaire grâce à la grande distribution, voici ma "fiche de lecture" de ce livre, qui fait déjà couler beaucoup d'encre et user les touches de bon nombre de claviers...
Les bonnes nouvelles
- 60% des médicaments sont efficaces. Cette donnée est la vraie bonne nouvelle du livre : 3 médicaments sur 5 sont classés E1 (excellente efficacité), E2 (grande efficacité) ou E3 (bonne efficacité).
- 100% des molécules antalgiques présentes sur le marché sont utiles. Au sein des chapitres "anti-inflammatoires et antalgiques", je me suis intéressé aux 7 molécules suivantes : paracétamol, codéine, tramadol, morphine, hydromorphone, oxycodone et fentanyl. Toutes sont classées E2 (grande efficacité), sauf les opioïdes dits faibles (codéine et tramadol), classés tout de même E3 (bonne efficacité). Le paracétamol, la codéine, la morphine, l'oxycodone et le fentanyl obtiennent qui plus est le label de "médicament indispensable"…
- Les médecins et l'industrie pharmaceutique doivent travailler ensemble pour faire progresser la recherche. Les auteurs rappellent que ces liens sont essentiels et ne doivent pas être remis en cause. Les rémunérations qui en découlent sont tout à fait justifiées.
Les mauvaises nouvelles
- 50% des médicaments sur le marché sont inutiles, soit parce qu'ils sont peu ou pas efficaces (40% des molécules autorisées), soit parce qu'il s'agit de pâles copies de médicaments existants. Les auteurs qualifient ces derniers de "me-too" ("moi aussi je peux le faire") et explique leur développement par un inquiétant déclin des capacités d'innovation des services de recherche et développement des principaux laboratoires pharmaceutiques, surtout français… Ces "me-too" concernent globalement la moitié (24 sur 46) des médicaments antalgiques du marché.
- Le développement des nouveaux médicaments se heurte à un cumul médical des mandats : ce sont souvent les mêmes médecins qui sont à la fois rémunérés par l'industrie pharmaceutique pour coordonner des recherches sur leurs médicaments ou pour former leurs collègues lors de colloques organisés par la même industrie, mais aussi décideurs dans les commissions d'autorisations des médicaments par les pouvoirs publics. De sorte que certains médecins sont à la fois "juge et partie". Les auteurs citent même en page 72 les noms de 11 médecins experts auprès des pouvoirs publics, et souvent présidents de commissions, qui détiennent chacun 36 à 43 contrats avec l'industrie pharmaceutique et qui devraient être, je cite "écartés manu militari"…
- Les 5% de médicaments potentiellement très dangereux sont pris en charge par l'assurance maladie dans 75% des cas. Si certains d'entre eux sont par ailleurs très efficaces, donc utiles, d'autres cumulent inefficacité et dangerosité… A méditer, puisque 100 000 hospitalisations par an sont directement liées à des accidents médicamenteux. A quand une véritable réflexion bénéfice-risque ?
Les dérapages (contrôlés ?)
- Une méconnaissance totale des traitements non médicamenteux, qui amène les auteurs à de curieux amalgames. Médicaments inefficaces, sophrologie, pépins de courge, méditation zen, vaudou, crapauds des sorcières de McBeth, scientologie, mésothérapie, samba brésilienne (pour n'en citer que quelques-uns…) sont tous rangés (page 183) dans la même catégorie "rites, danses et gris-gris" ! Inventaire à la Prévert ou (savant ?) mélange de torchons et de serviettes : en tous cas rien de très scientifique…
- Un déni total des maladies émergentes (page 184), sortes d'hystéries collectives, "qui n'existent dans aucun traité de médecine" (sic) et qui seraient de pures fabrications de l'industrie pharmaceutique pour conquérir de nouveaux marchés… Parmi les accusés : le mal de dos, la fibromyalgie, les jambes sans repos… donc un grand nombre des syndromes douloureux chroniques rencontrées dans la vraie vie. De quand datent les traités de médecine des auteurs ?
"Au service des malades (en gros caractères) et des praticiens (en petits caractères)" : telle est la (double) cible affichée sur la couverture de cet ouvrage de plus de 900 pages… A vous de juger…