samedi 26 mai 2012

Quelle place pour la douleur chronique dans le DPC ?

Formation médicale continue (FMC), évaluation des pratiques professionnelles (EPP), crédits à valider : toutes ces notions disparaissent en 2012 au profit du développement professionnel continu (DPC). Certains diront qu'il s'agit d'un nouveau "machin" qui ne sera jamais mis en application, comme les dispositifs précédents (les médecins devaient valider des crédits de FMC / EPP chaque année, mais l'organisation visant à valider cette obligation n'a jamais été mise en place…). Pourtant, les textes mettant en place le DPC, introduit par la loi Hôpital-Patients-Santé-Territoire (HPST), sont progressivement publiés… Une chose semble maintenant acquise : le DPC va se mettre en place à court terme, mais de quelle façon ?



Selon l'article L4133-1 du Code de la Santé Publique, le DPC "a pour objectifs l'évaluation des pratiques professionnelles, le perfectionnement des connaissances, l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que la prise en compte des priorités de santé publique et de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé".

Les acquis :
  • Le DPC ne concerne pas que les professions médicales mais l'ensemble des professionnels de santé : médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes, orthoptistes.
  • Chaque professionnel devra individuellement satisfaire à son obligation de DPC en participant, au cours de chaque année civile, à un programme de DPC collectif annuel ou pluriannuel.
  • Chaque programme devra : être conforme à une orientation nationale ou à une orientation régionale de DPC ; comporter une des méthodes et des modalités validées par la Haute Autorité de Santé (HAS) ; être mis en œuvre par un organisme de DPC (ODPC) enregistré.
  • Ces dispositions sont applicables dès l'année 2012.

Les inconnues :
  • Quel sera le cahier des charges des ODPC, qui seront-ils et quelle sera leur articulation avec l'existant, notamment avec les démarches d'EPP ? Les facultés de médecine et les établissements de santé pourront-ils être organisme de DPC ?
  • Quelles seront les orientations nationales (décidées par le ministre) et régionales (définies par les ARS) et sur quelles bases seront-elles définies ?
  • Quelles seront les "méthodes et modalités validées par la HAS" (rien de très précis à ce jour sur le site www.has-sante.fr) ?


Concernant la prise en charge de la douleur, les questions restent nombreuses :
  • La douleur (notamment chronique) fera-t-elle partie des orientations nationales ? Si oui, de façon durable ? La douleur étant la première préoccupation des patients porteurs de maladies chroniques, les associations de patients seront-elles consultées ?
  • Existera-t-il un organisme de DPC "douleur" ? Si oui, sera-t-il financé par le futur programme d'action douleur* ? Sera-t-il porté par une société savante, avec une politique nationale pluriannuelle (ce qui semble souhaitable) ou verrons-nous sortir de terre de multiples organismes non coordonnés ?
  • Ne faudrait-il pas créer un ODPC spécifiquement "douleur chronique", dans la mesure où il s'agit d'une véritable maladie touchant 1 français sur 5 ?
  • Les Comités de Lutte contre la Douleur (CLUD) des établissements de santé, voire les inter-CLUD, ont-ils vocation à devenir des ODPC territoriaux ?

La suite au prochain épisode…


* Site du ministère en charge de la santé, page " La prise en charge de la douleur par les professionnels de santé" : La publication du futur programme d’actions sur la prise en charge de la douleur est prévue pour fin mars 2012. Deux mois plus tard, toujours pas de nouvelles…

dimanche 20 mai 2012

Douleur en santé mentale : rattrapons le retard !

La douleur est fréquente chez les patients pris en charge par les professionnels de la santé mentale. Pour autant, l'évaluation de la plainte douloureuse et sa prise en charge restent insuffisantes en milieu psychiatrique [1], où l'existence d'un comité de lutte contre la douleur (CLUD) reste peu fréquente. Autre exemple concret : la traçabilité de l'évaluation de la douleur est intégrée aux indicateurs pour l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS) qui doivent être suivis par tous les hôpitaux ayant une activité de médecine, de chirurgie, d'obstétrique, de soins de suite et d'hospitalisation à domicile. Ces indicateurs font l'objet d'une communication au grand public et sont un levier important en termes d'amélioration des pratiques. Malheureusement, la douleur n'a pas été retenue comme IPAQSS en secteur psychiatrique, ce qui peut accroitre le fossé entre les soins dits somatiques et la santé mentale…

Beaucoup de progrès restent donc à accomplir, de nombreux professionnels de santé s'y emploient d'ores et déjà, avec l'appui des pouvoirs publics, d'associations, d'instituts et de fondations :



  • L'Association Nationale pour la Promotion des Soins Somatiques en Santé Mentale (ANPSSSM) met en œuvre des actions de formation et des partages d'expériences entre professionnels. Elle est à l'origine d'un documentaire de 26 minutes "Le corps en tête", distribué par ADVITA Production et réalisé grâce au soutien de la Fondation APICIL et de la Fondation de France.




  • L'institut UPSA de la Douleur (IUD) publie depuis l'année 2007 une lettre "douleur & santé mentale" : 5 numéros ont déjà été publiés [2-6], le dernier abordant la manière de mettre en place un CLUD en milieu psychiatrique.




La roue de DEMING a donc déjà commencé son chemin : il reste à espérer que les tours de roue se succèderont, pour que les patients atteints de pathologies mentales, éternels oubliés du système de santé, puissent bénéficier d'une prise en charge de la douleur de qualité…

Références

jeudi 17 mai 2012

A la recherche des antalgiques du futur

La couverture du numéro de mars 2012 du magazine "La Recherche" affiche un objectif ambitieux : vaincre la douleur. Pour ce faire, le mensuel d'actualités scientifiques propose 2 pistes de travail : repérer les molécules les plus efficaces et mobiliser nos morphines internes… Un dossier de 15 pages propose au lecteur de lutter contre certaines idées reçues, de mieux connaitre les voies de la douleur, puis d'espérer le développement de nouveaux médicaments. Voici ma lecture de ce dossier :


Pas de nouveau médicament depuis 20 ans…
La recherche biomédicale n'a pas réussi à développer de nouvelle classe médicamenteuse à visée antalgique, malgré des espoirs fondés sur la recherche animale. Aujourd'hui, les chercheurs se posent beaucoup de questions sur l'intérêt des modèles animaux, puisqu'un grand nombre de molécules efficaces chez l'animal n'a finalement eu aucun effet antalgique chez l'homme. Les comportements observés chez les rongeurs lors des études cliniques sont-ils vraiment la traduction d'une douleur ? Rien n'est moins sûr et le doute est plus que semé... Autre piste de réflexion : certaines molécules, jugées inefficaces sur de grandes populations, pourraient finalement l'être chez certains patients : il s'agirait juste d'identifier les patients répondeurs plus précocement. Reste à en apporter la preuve en reprenant les résultats d'un nombre considérable d'études...

Un nouvel espoir (bientôt déçu ?)
Dans la famille des endorphines, les enképhalines font l'objet d'un intérêt croissant. Ces molécules sont naturellement secrétées par l'organisme et ont un effet antalgique puissant. Problème : leur effet ne dure que 20 secondes car elles sont rapidement détruites par des enzymes (dites enképhalinases), elles-aussi naturelles, afin de préserver la fonction de signal d'alerte de la douleur aiguë. Depuis plus de 20 ans, la création d'un inhibiteur des enképhalinases est donc dans les cartons : elle permettrait de mimer les effets de la morphine en évitant ses effets secondaires. Après plusieurs échecs, un nouveau candidat (le PL37) semble se démarquer du lot : il augmente expérimentalement le seuil douloureux chez la souris (après injection d'un produit algogène dans la patte) et n'aurait aucun effet secondaire chez l'humain volontaire sain (étude de phase I). Là encore, le principe est séduisant, mais aucune étude n'a encore confirmé l'action antalgique du PL37 chez l'homme : il est bien trop tôt pour s'enthousiasmer…

Et les approches non médicamenteuses ?
Si ce dossier s'attache surtout à l'innovation médicamenteuse et à la recherche biomédicale sur la douleur, il laisse peu de place aux approches psychosociales. Tout juste le rôle des émotions est-il évoqué, mais c'est rapidement pour le réduire à des aspects neurochimiques et à des images d'IRM fonctionnelle… Pourtant, en l'absence de révolution médicamenteuse, les 20 dernières années ont été marquées par l'explosion des études sur l'efficacité des approches psychocorporelles. Le lecteur pourra regretter que l'hypnose, la sophrologie, les thérapies cognitives et comportementales (…) ne soient même pas citées alors qu'elles correspondent aux attentes d'un grand nombre de patients. La recherche sur la douleur ne peut être réduite à de la chimie, le "bio" peut aussi soulager la douleur : la façon la plus naturelle de sécréter des enképhalines n'est-elle pas l'activité plaisir ?

samedi 12 mai 2012

Stimulation magnétique transcranienne : un nouvel espoir face à la fibromyalgie ?

La stimulation magnétique transcranienne (TMS) consiste à appliquer une impulsion magnétique sur l'encéphale à travers le crâne. Appliquée de manière répétitive (rTMS), cette technique non invasive possède un bon potentiel sur le plan thérapeutique : elle pourrait répondre aux attentes de prise en charge non médicamenteuse de bon nombre de patients.


Parmi les cibles potentielles : la douleur chronique. La recherche clinique commence à démontrer des résultats prometteurs dans différentes situations cliniques :


Et si cela pouvait marcher dans la fibromyalgie (dont la journée mondiale a lieu aujourd'hui) ? Des chercheurs français ont publié en juillet 2011 dans la revue Pain (Elsevier) les résultats d'une étude menée auprès de 40 patientes présentant une fibromyalgie, rapidement médiatisée :


Réparties en 2 groupes, ces patientes bénéficiaient d'une rTMS (machine MagPROX100, Magventure Tonika Elektronic; Farum, Danemark) soit réelle, soit factice. Les séances étaient quotidiennes pendant 5 jours (semaine 0), puis étaient réalisées lors des semaines 1, 2, 3, 5, 7, 9, 13,17 et 21.


Quatre semaines après la fin de ce programme, la rTMS permettait une diminution de l'intensité douloureuse d'1 point sur une échelle numérique : environ 5,2/10 en moyenne dans le groupe rTMS contre environ 6,2/10 dans le groupe placebo (chiffres imprécis car non fournis dans le texte de l'article et déduits de la courbe présentée, dont l'échelle est peu précise). En termes de qualité de vie, la rTMS améliorait d'environ 25% les capacités physiques.

Sur un plan purement statistique, ces résultats sont significatifs, mais qu'en est-il dans la vraie vie ? Difficile à dire à ce jour : les patientes présentant un état dépressif majeur, un trouble de la personnalité majeur ou des antécédents addictifs (autant dire les situations les plus complexes et/ou les patientes les plus douloureuses) ont été exclues de cette étude. Par ailleurs, aucune mesure n'a été effectuée au-delà d'un mois après l'arrêt du traitement : quelle serait l'évolution dans la durée ?

D'autres études sont en cours de réalisation, notamment sur le territoire français, pour compléter ces premiers résultats. En l'état actuel, la prise en charge de la fibromyalgie par rTMS n'est probablement pas aussi révolutionnaire qu'un reportage télévisé le laisserait penser, elle apporte tout au mieux un soulagement modeste à l'échelle d'un groupe de 20 patientes. Par contre, elle ouvre des perspectives non médicamenteuses aux patients répondeurs : reste à connaître leur profil…

dimanche 6 mai 2012

Fibromyalgie et trouble du sommeil : l'œuf ou la poule ?

Cet écrit est né de mes échanges avec des patients sur le réseau social Twitter (ils se reconnaitront) : rien de bien étonnant à cela puisqu'en cas de fibromyalgie, 3 personnes sur 4 présentent un trouble du sommeil (trouble de l'endormissement et/ou réveils nocturnes et/ou sentiment d'un sommeil non réparateur).



Le texte "Sleep, pain, fibromyalgia, and chronic fatigue syndrome" a particulièrement retenu mon attention : long de 25 pages et riche de plus de 250 références bibliographique, ce chapitre du "Handbook of Clinical Neurology" date de 2011. Autant dire qu'il offre un point complet et récent sur le sujet. Pour autant, il propose au lecteur plus de questions que de réponses…


Peu de connaissances sur le sujet
Malgré l'émission de différentes hypothèses (ondes alpha, altération de différentes phases du sommeil superficiel, profond ou paradoxal…) les différentes études cliniques utilisant la polysomnographie n'ont pas réussi à identifier un trouble du sommeil spécifique à la fibromyalgie. Dans certains cas, les patients présentent d'autres troubles qui peuvent bénéficier d'une prise en charge spécifique (apnée du sommeil, syndrome des jambes sans repos), mais ces troubles restent minoritaires. Alors, que connaissons-nous vraiment sur ce sujet ? Les douleurs musculaires chroniques sont-elles à l'origine du trouble du sommeil ? La perturbation de la qualité de sommeil favorise-t-elle la douleur ? Manifestement les 2 à la fois, ce qui fait qu'il n'y a ni œuf ni poule mais plutôt un cercle vicieux entre la douleur et le trouble du sommeil, qui s'autoalimentent l'un l'autre…

Les médicaments ont leurs limites…
Et pour cause, ils ont souvent plus d'inconvénients que d'avantages. Par exemple, si la prise de faibles doses d'antidépresseurs le soir peut favoriser l'endormissement, elle peut aussi perturber la qualité du sommeil. Il en est de même pour les benzodiazépines, dont la prescription est limitée en France à 12 semaines du fait du risque de dépendance (voir article de mon blog). L'auteur précise que les hypnotiques doivent être réservés aux insomnies sévères et prescrits sur de courtes durées. Les antalgiques peuvent diminuer l'intensité douloureuse, surtout en période diurne, mais sans effet démontré sur la qualité de sommeil. Rien de bien miraculeux donc…

Hygiène de vie, encore et toujours
Des règles hygiéno-diététiques sont à recommander : ne pas consommer de caféine ou d'autres excitants l'après-midi et le soir, éviter l'alcool, les repas lourds et l'exercice dans les heures qui précèdent le coucher, garder un rythme de sommeil régulier (quitte à tenir un agenda), dormir dans un endroit calme, frais et dans l'obscurité. Même si leur efficacité peut être limitée, il ne faut pas oublier ces quelques conseils simples.

Et bien sûr les TCC !
Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) sont les approches les plus prometteuses, du fait d'une balance bénéfice-risque bien meilleure que tous les médicaments existants (voir article de mon blog). Les TCC peuvent améliorer la qualité de sommeil, mais aussi aider à gérer la fatigue et la douleur chronique, c'est-à-dire les 3 symptômes les plus fréquents de la fibromyalgie. Dans ce cadre, je conseille la lecture de la collection "Réussir à surmonter (…) avec les TCC" :




Information complémentaire : journée mondiale de la fibromyalgie le 12 mai 2012

mardi 1 mai 2012

Agence du médicament : nouveau nom, nouvelles missions

C'est officiel : depuis aujourd'hui, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) remplace l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).




Si l'ANSM reprend les missions de l'ancienne AFSSAPS, la loi lui en confie de nouvelles dans le domaine de la recherche, des études de suivi des patients, du recueil des données d’efficacité et de tolérance, de l’encadrement des référentiels temporaires d’utilisation (RTU). Elle élargit son champ d'intervention en matière de transparence, de contrôle de la publicité et d’information des patients et des professionnels. Voici concrètement en quoi ses pouvoirs sont renforcés* :

Surveillance et évaluation des produits de santé
L'ANSM peut inciter au développement d’une recherche indépendante orientée sur la sécurité des produits, mener des études de suivi, recueillir des données d’efficacité et de tolérance, faire réaliser des essais cliniques contre comparateurs actifs et contre placebo par les industriels et obtenir, de leur part, la communication d’informations de nature à influencer l’évaluation d’un produit. De même, l’ANSM devra être informée de toute restriction ou interdiction imposée par les autorités sanitaires étrangères.

Encadrement des prescriptions et de la publicité, police sanitaire
  • limitation des prescriptions hors AMM par la mise en place de recommandations temporaires d’utilisation (RTU) ;
  • réduction du nombre des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) nominatives au profit d’ATU de cohorte ;
  • contrôle a priori des publicités destinées aux professionnels de santé pour les médicaments à usage humain, nouvelles dispositions pour les dispositifs médicaux ;
  • renforcement des sanctions financières à l’égard des industriels.

Nouvelles exigences en lien avec la loi du 29 décembre 2011 (voir article de mon blog)
  • Transparence : traçabilité des travaux qui précèdent une prise de décision, enregistrement des séances, publication de compte-rendu avec expression des opinions minoritaires ;
  • Indépendance des experts (voir article de mon blog) qui participent aux travaux de l’agence (déclaration publique d’intérêt, commission d’éthique …).

Partage de l’information
  • mise en ligne des résultats des essais cliniques ayant abouti à la délivrance d’une AMM par la création d’un répertoire sur le site de l'agence ;
  • mise à disposition des décisions de l’ANSM qui sont portées à la connaissance de tous, de manière adaptée aux attentes et aux besoins.

Financement
L’ANSM dispose d’un budget de fonctionnement et d’investissement supérieur à celui de l’AFSSAPS, son financement est exclusivement assuré par une subvention de l’Etat et non plus par des taxes ou redevances de la part des industriels.

Objectif(s) affiché(s)
La mise en place de l’ANSM, aux missions et aux moyens renforcés, doit ainsi, en assurant la sécurité sanitaire des produits de santé, contribuer à restaurer la confiance des citoyens dans les produits de santé, mais également à les sensibiliser au fait que « le médicament n’est pas un produit comme les autres » (slogan de la campagne ministérielle sur le bon usage du médicament, mars 2012).