samedi 30 juin 2012

Dépister la fibromyalgie en moins de 3 minutes ?

En l’absence de bio-marqueur spécifique, le diagnostic de fibromyalgie reste basé sur un ensemble d’arguments cliniques, les plus connus étant les critères de l’American College of Rhumatology (ACR). Si ces critères contribuent à une meilleure classification des situations cliniques rencontrées par les rhumatologues, ils peuvent être difficiles à utiliser en pratique quotidienne. Or, la fibromyalgie est souvent diagnostiquée tardivement, après un parcours parfois long, fastidieux et coûteux pour les patients comme pour la collectivité.




Face à ce constat, le Cercle d’Etude de la Douleur en Rhumatologie (CEDR) a souhaité développer un outil simple de repérage de la fibromyalgie, utilisable par le patient lui-même.




Voici les étapes qui ont permis d’aboutir au questionnaire FiRST, pour « Fibromyalgia Rapid Screening Tool » (Outil de dépistage rapide de la fibromyalgie) :
  • Définition par un groupe de 6 experts d’une liste de 53 items cliniques ;
  • Interview de 10 patients présentant un syndrome fibromyalgique pour réduire cette liste à 10 items ;
  • Utilisation de ces 10 items au cours d’une étude multicentrique auprès de 162 patients, dont 92 présentaient une fibromyalgie et 70 une autre maladie rhumatologique non douloureuse ;
  • Détermination des 6 items les plus spécifiques à la fibromyalgie ;
  • Détermination du seuil à partir duquel une fibromyalgie peut être évoquée : ce seuil a été fixé à 5 items sur 6, avec une sensibilité de 88% et une spécificité de 86%. A partir de ce score, la valeur prédictive positive était de 90% et la valeur prédictive négative de 88%.



L’intérêt de ce type d’outil est évident : complété par le patient en moins de 3 minutes montre en main, le questionnaire FiRST permet de suspecter une fibromyalgie en cas de score supérieur ou égal à 5 sur 6. Cependant, il ne s’agit que d’un outil de dépistage : il peut exister des faux positifs et des faux négatifs. Le diagnostic devra de toute façon être confirmé en consultation médicale…

samedi 23 juin 2012

Mal de dos : une TCC express ?

Le numéro 3178 du magazine L’EXPRESS affiche une couverture au titre prometteur « Mal de dos, les méthodes qui marchent vraiment ». En ouvrant le magazine en question (ou en consultant le site internet de L’EXPRESS, le lecteur découvre un dossier de 12 pages particulièrement intéressant. Intéressant en quoi ? Parce qu’il propose en quelque sorte une initiation à la TCC (thérapie cognitive et comportementale) du mal de dos, en luttant contre les idées reçues les plus délétères et en proposant des solutions pour mieux faire face à la douleur.



Sur le plan cognitif, les différents articles tentent de dédramatiser le mal de dos, tout en prévenant le lecteur : « on entend même des kinés, des médecins du travail ou des médecins généralistes dispenser de bonne foi les pires conseils ». Voici quels sont les principaux messages :
  • Face à la douleur aiguë : « Le repos complet et prolongé est aujourd’hui formellement contre-indiqué. Il provoque en effet une fonte musculaire progressive, sans pour autant atténuer durablement la douleur » ; « Lumbago, sciatique sont des mots qui font peur, alors qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’une entorse du dos ».
  • Face à la douleur chronique : « Pour y faire face et éviter des répercussions trop importantes sur le quotidien, il faut renoncer à trouver la solution miracle. Admettre qu’il y aura des jours sans. Garder confiance dans ses facultés de récupération. Et aussi s’informer ».

Sur le plan comportemental, l’objectif affiché est le suivant : « apprendre à faire face à la douleur ». Même si les solutions proposées peuvent sembler simplistes, elles sont souvent méconnues des patients, et parfois des soignants :
  • Face à la douleur aiguë : « Rester actif, malgré la douleur, pour éviter que le mal ne s’installe » ; « La chirurgie ? Peser les avantages et les risques » ; « Médicaments : avec parcimonie » ; « Le sport ? Vivement recommandé ! ».
  • Face à la douleur chronique : « Réapprendre à bouger, limiter la kinésiophobie (la peur de bouger), s’initier à la relaxation et se confronter, progressivement, aux situations redoutées (monter les escaliers, porter des packs d’eau) : telles sont les différentes étapes des TCC… ».

Aborder le sujet complexe du « mal du siècle » n’a rien d’évident : le magazine L’EXPRESS a su proposer à ses lecteurs un dossier complet, conforme aux données récentes de la science, au-delà des clichés et des faux espoirs habituellement proposés par les magazines généralistes. Un numéro qui a naturellement pris sa place dans ma salle d’attente…

dimanche 17 juin 2012

Soulager la douleur neuropathique : au-delà des frontières entre le public et le privé…

Les douleurs neuropathiques sont la conséquence directe d’une lésion ou d’une maladie du système nerveux. Une de leurs caractéristiques est d’être permanentes, présentes de jour comme de nuit, 365 jours par an, une douleur permanente, même d’intensité faible, étant classiquement plus difficile à supporter qu’une douleur intense mais brève.

La prise en charge des douleurs neuropathiques s’appuie classiquement sur 3 piliers : les médicaments, les approches psychocorporelles et les techniques de stimulation du système nerveux. Ces 3 piliers sont souvent nécessaires à la prise en charge globale des patients. Problème : l’organisation des soins ne permet pas toujours de les proposer en même temps, y compris au sein des structures d’étude et de traitement de la douleur chronique, qui ne disposent pas toujours de l’ensemble des compétences nécessaires en leur sein.




D’où l’intérêt de développer des partenariats. La revue Douleurs (Elsevier-Masson) publie un article [1] qui témoigne parfaitement de l’intérêt de décloisonner la prise en charge des patients, en mettant en place une filière de soin adaptée aux besoins de la population (et non pas aux habitudes des professionnels…). L’exemple présenté est celui de la stimulation médullaire, technique de stimulation du système nerveux implantée. En l’absence d’implanteur au sein de 3 structures d’étude et de traitement de la douleur chronique des hôpitaux publics, les patients sont opérés en clinique privée par un neurochirurgien expérimenté, le suivi étant réalisé conjointement avec le médecin traitant libéral.


Les auteurs de cet article peuvent présenter des résultats flatteurs : chez les 141 patients implantés entre 2004 et 2010, l’efficacité de la stimulation médullaire est supérieure aux données de la littérature scientifique (8 patients sur 10 soulagés de plus de 50% sur le long terme) pour un taux de complications comparable (1 patient sur 3, complications le plus souvent mineures et réversibles). Cela témoigne à la fois d’une bonne sélection des patients et de pratiques sécurisées. Autre point important, le parcours de soins est nettement simplifié : délais de prise en charge raccourcis du fait d’une réactivité accrue, pas d’examens radiologiques redondants, contacts téléphoniques directs et fréquents entre les professionnels…

Les patients présentant un syndrome douloureux neuropathique chronique ont tout à gagner au développement de ce type de filières (public-privé), plus fluides et organisées sans arrière pensée de concurrence entre établissements de santé…

Référence

mardi 12 juin 2012

Plan douleur : quel programme pour la saison 4 ?

Depuis 1998, 3 plans pilotés par l’actuelle Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) ont été consacrés à l’amélioration de la prise en charge de la douleur. Le 3e plan s’est achevé en 2010 : l’évaluation menée par le Haut Conseil de la Santé Publique avait pointé l’intérêt d’un nouveau plan. D’un point de vue pratique, il s’agira d’un « programme d’actions » basé sur 4 axes : articulation ville-hôpital, santé mentale, formation et recherche. Prévu initialement pour la fin du mois de mars 2012, la présentation de ce programme se fait attendre…




Voici 2 mesures phares qui me semblent prioritaires pour cette saison 4 :
  1. Création d’un organisme de développement professionnel continu (DPC) national et spécifique à la prise en charge de la douleur (voir article de mon blog). Cet organisme de DPC devrait posséder une autonomie financière et ainsi faire ses choix de façon indépendante. Il pourrait ainsi proposer des programmes de DPC couvrant les champs de la douleur aiguë, du syndrome douloureux chronique et des douleurs provoquées par les soins. La mise en place d’un programme « santé mentale » me semble être une priorité (voir article de mon blog). Afin d’éviter le développement anarchique d’organismes de DPC douleur un peu partout sur le territoire français, l’implication forte d’une société savante et des pouvoirs publics me semble indispensable. La Haute Autorité de Santé est dans ce cadre un partenaire incontournable.
  2. Mise en place d’un programme de recherche multicentrique sur les approches psychocorporelles. La recherche clinique française s’intéresse essentiellement au développement de nouvelles molécules à visée antalgique, négligeant à mon sens l’immense champ des thérapies cognitives, comportementales et à médiation corporelle (voir article de mon blog). De ce fait, les études cliniques sont le plus souvent monocentriques et non contrôlées. Conséquence directe : un niveau de preuve d’efficacité restant faible malgré l’investissement (important mais non coordonné) de nombreuses équipes. Une recherche clinique multicentrique de qualité permettrait de démontrer aux pouvoirs publics français l’intérêt des thérapies cognitives et comportementales (TCC), de la relaxation ou encore de l’hypnose dans la prise en charge de la douleur chronique. Etape suivante : la prise en charge de ce type d’approches par l’assurance maladie (voir article de mon blog)
Ces 2 mesures feront-elles partie du prochain programme d’action pour la prise en charge de la douleur ? Réponse d’ici peu…

jeudi 7 juin 2012

Qu'attendent les patients d'une consultation de la douleur chronique ?

La prise en charge du syndrome douloureux chronique est complexe et peut nécessiter de recourir à une structure d'étude et de traitement de la douleur chronique (voir article de mon blog). Les patients y sont adressés par leur médecin traitant.

Mon expérience clinique me prouve chaque jour que les attentes des patients sont souvent différentes de celles de leur médecin ; elles sont par ailleurs très variables d'un patient à l'autre. Or, la prise en compte des attentes des patients, en termes d'objectifs et de moyens, est indispensable pour élaborer un projet thérapeutique personnalisé et consensuel.




Depuis le mois de novembre 2011, j'ai systématiquement consigné les attentes des patients qui venaient me consulter pour la première fois. Je présente ici les résultats qui concernent les 100 premiers patients de cette étude observationnelle (PAPAWAS pour PAinful PAtients WAnt Study) :




Premier constat (en termes d'objectif) : fort logiquement, 2 patients sur 3 attendent tout simplement d'être mieux soulagés, tout en ayant conscience que ce soulagement ne pourra être que partiel. Par contre, 1 patient sur 7 est en attente d'une disparition totale de la douleur : cette situation est d'emblée compliquée pour le soignant, à qui il est demandé de guérir une maladie chronique… Dans d'autres cas, l'attente est purement psychologique (le plus souvent en cas de maladie psychiatrique dont la douleur n'est qu'un des symptômes) ou fonctionnelle (essentiellement des personnes âgées confrontées au handicap). Plus surprenant, 1 patient sur 12 n'exprime aucune attente : "c'est mon médecin qui m'a envoyé, moi je ne serais pas venu(e)…" 




Deuxième constat (en termes de moyen) : 2 patients sur 3 expriment spontanément une attente précise en termes de moyens à utiliser, et se positionnent ainsi clairement en partenaire dans l'élaboration du projet thérapeutique. Point tout aussi crucial : seuls 28% des patients attendent la prescription d'un médicament ! Les attentes non médicamenteuses, rééducatives et psychologiques concernent quant à elle 34% des patients, ce qui confirme la poussée sociétale des approches dites psychocorporelles… Plus d'un patient sur 4 n'a pas d'idée précise sur les moyens à employer et s'en remet au jugement du soignant (attente passive : "c'est vous le médecin, c'est vous qui savez…").

Afin d'obtenir des données plus précises et de définir des facteurs influençant les attentes des patients douloureux chroniques, l'étude PAPAWAS va se poursuivre dans le temps. Ces résultats préliminaires apportent des éléments intéressants : choix des filières de soins (douleur, handicap, psychiatrie, médecine générale), développement des approches psychocorporelles, place limitée des médicaments…

vendredi 1 juin 2012

Rembourser les approches psychocorporelles de la douleur chronique ?

La Haute Autorité de Santé (HAS) définit le syndrome douloureux chronique [1] comme "un syndrome multidimensionnel, lorsque la douleur exprimée, quelles que soient sa topographie et son intensité, persiste ou est récurrente au-delà de ce qui est habituel pour la cause initiale présumée, répond insuffisamment au traitement, ou entraîne une détérioration significative et progressive des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient".

Au-delà de cette définition, la HAS précise que certains signes cliniques doivent alerter :
  • résistance à l’analyse clinique et au traitement a priori bien conduit et suivi ;
  • composante anxieuse, dépressive ou autres manifestations psychopathologiques ;
  • interprétations ou croyances du patient éloignées des interprétations du médecin concernant la douleur, ses causes, son retentissement ou ses traitements.

Ces signes d'alerte démontrent à la fois les limites des traitements médicamenteux, la nécessité d'une approche cognitive (pour travailler sur les "croyances" et "interprétations") et les besoins des patients en termes d'approches psychologiques. Le développement des approches psychocorporelles apparait donc clairement comme une priorité de santé publique, pour une meilleure prise en charge de la douleur chronique sur l'ensemble du territoire. Longtemps nommées "approches non médicamenteuses", du fait de l'hégémonie de la chimie, ces approches se sont progressivement fait un nom propre ; il s'agit en particulier des :

Ces approches ont fait l'objet d'un nombre considérable d'études scientifiques à travers le monde, leur efficacité a pu ainsi être démontrée ; elles sont également enseignées dans les universités et donnent lieu à des diplômes universitaires [2,3].

Malheureusement, à ce jour, elles ne font l'objet d'aucun remboursement par l'assurance maladie. Seules les structures d'étude et de traitement de la douleur chronique (voir article de mon blog) les proposent à leurs patients sans coût à leur charge, du fait de leur mission d'intérêt général et de la présence obligatoire d'un médecin, d'un psychologue et d'une infirmière. Cependant, ces structures prennent en charge 200 000 patients par an, ce qui représente à peine 2% des 10 à 15 millions de français présentant un syndrome douloureux chronique…




Les différents plans cancers ont permis la prise en charge d'un forfait de consultations psychologiques dans le cadre des "soins de support" : en sera-t-il un jour de même pour la douleur chronique ? L'objectif des TCC et des pratiques psychocorporelles étant de favoriser l'autonomie du patient face à sa douleur, définir un nombre de séances prises en charge par l'assurance maladie constituerait une première étape. Les acteurs du soin et les associations de patients ont tout intérêt à unir leur force pour la franchir !