samedi 29 décembre 2012

« Poivre et sel » : quand la douleur annonce l’hémorragie cérébrale…

Guidé par la curiosité du titre, j’ai récemment parcouru un article scientifique publié dans la revue Clinical Neurology and Neurosurgery : les auteurs taïwanais y exposent les situations de 4 patients ayant présenté un signe clinique nommé « salt-and-pepper eye pain », ce qui pourrait être traduit par « douleur oculaire de type sel-et-poivre ». Concrètement, les patients de cette petite série ont tous présenté une douleur brutale, comme si du sel / du poivre avaient été jetés au niveau d’un ou des deux yeux, sans anomalie décelable sur le plan ophtalmologique. Une fois la douleur spontanément disparue, ces patients ont présenté des signes neurologiques qui ont abouti au diagnostic d’accident vasculaire cérébral (AVC), le plus souvent hémorragique.




Ces 4 patients viennent s’ajouter à 8 autres cas publiés dans la littérature scientifique. Douze cas recensés dans le monde : cela fait peu comparé à la fréquence de l’AVC ! Cependant, les auteurs de cet article émettent l’hypothèse d’un symptôme qui pourrait être plus fréquemment décrit s’il était réellement recherché…

Alors, au final, signe d’alerte à prendre au sérieux ou simple feu de paille ? La « douleur oculaire sel-et-poivre » pourrait-elle constituer une sorte d’aura de l’AVC ? La question reste posée, mais dans le doute, les auteurs recommandent la réalisation urgente d’une imagerie cérébrale, pour éliminer une hémorragie intracrânienne.




samedi 22 décembre 2012

Venin d’abeille : le nouveau traitement bio de la lombalgie chronique ?

La lombalgie chronique fait partie des syndromes douloureux chroniques les plus complexes à prendre en charge. Une approche « intégrative » personnalisée est souvent nécessaire : elle s’appuie sur un ensemble d’approches médicamenteuses, rééducatives, ergonomiques, cognitives et comportementales. Parmi ces approches, les infiltrations constituent une ressource possible : il s’agit le plus souvent de corticoïdes, utilisés pour leurs vertus anti-inflammatoires. Dans un contexte sociétal de retour aux produits naturels, serait-il possible d’injecter un anti-inflammatoire bio ? A priori oui, il suffirait pour cela de s’adresser aux abeilles. Si les vertus du miel, du propolis, de la cire ou de la gelée royale sont assez bien connues, celles du venin d’abeille semblent moins évidentes à entrevoir, et pourtant…




Les auteurs coréens d’un article récent (paru dans le journal européen de médecine intégrative) rapportent leur expérience en termes de traitement de la lombalgie chronique par injections de venin d’abeille au niveau de 6 points d’acupuncture (2 injections par semaine pendant 4 semaines). Comparé au placebo (sérum salé), le venin d’abeille a permis de diminuer significativement l’intensité douloureuse pendant la dernière des 4 semaines de traitement, avec des effets secondaires restant modérés (surtout un prurit).




Malheureusement, cet effet antalgique ne s’est pas prolongé dans le temps et n’a pas permis d’augmenter les capacités fonctionnelles du patient… Rien de miraculeux donc, mais les auteurs émettent l’idée d’intégrer le venin d’abeille à la prise en charge globale de la lombalgie chronique. Utopie ou perspective d’avenir ?




samedi 15 décembre 2012

Fibromyalgie : une histoire d’hormone… de croissance ?

Quand les rhumatologues rencontrent des endocrinologues, de quoi se parlent-ils ? De fibromyalgie bien sûr, cette affection touchant majoritairement la femme et pour laquelle les uns et les autres sont parfois démunis… Premier constat commun : environ la moitié des patients présentant un syndrome fibromyalgique présente également une perturbation hormonale en lien avec l’hormone de croissance (GH, pour growth hormone). Il s’agit soit d’un déficit en IGF-1, hormone produite par le foie sous l’influence de la GH, soit d’une vraie déficience en GH.




D’où l’idée de recourir à l’hormone de croissance pour traiter la fibromyalgie. L’histoire s’écrit en Espagne [1], où 120 patients traités médicalement pour une fibromyalgie ont pu participer à une étude clinique pendant 18 mois. Tous présentaient un déficit en IGF-1. Le premier groupe de 60 patients a été traité pendant 12 mois avec une GH ; le second groupe a bénéficié d’un placebo pendant 6 mois, puis de la GH pendant 6 mois. Les 2 groupes ont ensuite été surveillés pendant 6 mois. Voici les principaux résultats :
  • Aucune différence entre les 2 groupes pendant les 6 premiers mois (les auteurs pensent avoir utilisé des doses de GH trop faibles pour obtenir un résultat rapide…).
  • A 12 mois de suivi, les patients ayant été traité pendant 12 mois bénéficiaient d’une amélioration significativement supérieure à ceux traités pendant 6 mois : diminution du nombre de points de fibromyalgie (moins de 11 points dans 53% vs 33% des cas), des répercussions fonctionnelles et de l’intensité douloureuse (échelle numérique moyenne de 45/100 vs 60/100, pour une moyenne avant traitement de 75/100 dans les 2 groupes).
  • A 18 mois de suivi, donc 6 mois après arrêt du traitement par GH, les 2 groupes redevenaient comparables (les auteurs en concluent que le mécanisme de l’action antalgique de la GH est différent de celui des traitements médicamenteux habituels, opioïdes ou antidépresseurs).




A ce jour, les anomalies hormonales liées à la GH constatée chez les patients atteints de fibromyalgie restent difficiles à interpréter. Sont-elles la conséquence d’un stress prolongé ? Sont-elles à l’origine de la douleur ? Sont-elles liées aux troubles du sommeil (la production de GH étant maximale en phase de sommeil paradoxal) ? Participent-elles à un cercle vicieux entre la douleur, le stress et les troubles du sommeil ? Il reste difficile de répondre à ces questions avec certitude. Les résultats de cette étude ouvrent la voie au développement [2] d’un potentiel « traitement hormonal substitutif » de la fibromyalgie…




Références

samedi 8 décembre 2012

Des pistes pour diminuer la fréquence des douleurs chroniques après un geste chirurgical

De plus en plus d’études scientifiques viennent le confirmer : une des complications possibles de tout geste chirurgical est le développement de douleurs chroniques, notamment neuropathiques. Il s’agit d’une situation qualifiable d’aléa thérapeutique (dommage corporel, conséquence d'un acte médical, sans qu'il soit accompagné d'une faute, d'une erreur ou encore d'une maladresse).




Les douleurs neuropathiques post-chirurgicales étant particulièrement difficiles à prendre en charge, serait-il possible d’empêcher leur apparition ? Puisqu’il n’est pas possible de les guérir, pouvons-nous les prévenir, ou tout au moins en diminuer la fréquence ?




Pour tenter de répondre à cette question importante, la revue « Surgical Clinics of North America » publie un article consacré aux douleurs chroniques après une amputation ou une thoracotomie. Sans apporter de réponse définitive, plusieurs pistes se dégagent :
  1. Le soulagement de la douleur doit être maximal avant, pendant et après le geste chirurgical. Même si des données contradictoires sont publiées, la fréquence des douleurs chroniques postopératoires diminue de façon significative en cas de bon contrôle péri-opératoire de la douleur.
  2. Le type de traitement antalgique importe peu, seul le soulagement compte. Médicaments par voie orale ou intraveineuse, analgésie péridurale ou locorégionale : aucune technique n’est réellement meilleure, pour peu qu’elle soit bien utilisée. Par contre, c’est une évidence, la combinaison de ces techniques (appelée analgésie multimodale) contribue à un soulagement de meilleure qualité, donc à une diminution du risque de développer des douleurs chroniques.
  3. Le traitement antalgique postopératoire devrait durer plus longtemps. Par exemple, augmenter la durée de l’analgésie locorégionale pourrait influencer (dans le bon sens) la réorganisation du système nerveux (plasticité neuronale) après amputation.
  4. L’anxiété et/ou la dépression sont des facteurs de risque à évaluer avant même la chirurgie. Ils augmentent clairement le risque de douleur chronique : une prise en charge réellement multimodale ne peut donc s’envisager sans intégrer des aspects psychosociaux.
  5. Le système nerveux mérite le respect. Moins d’agression des nerfs = probablement mois de douleurs neuropathiques. Cette hypothèse tend à se confirmer avec le développement de chirurgies moins invasives (microchirurgie, arthroscopie, cœlioscopie…).

En pratique, compte-tenu des données scientifiques disponibles et d’une obligation de moyens, les auteurs de cet article ne peuvent qu’encourager à « mettre le paquet » pour soulager la douleur péri-opératoire, en élargissant le champ de vision des soignants, notamment sur le plan psychosocial. La gestion du risque (de développer une douleur chronique après un geste chirurgical) est à ce prix…

samedi 1 décembre 2012

Douleur chronique, insomnie et dépression : une triade sous l’influence de la dopamine ?

Douleur chronique, insomnie, dépression : ces 3 affections sont présentes en même temps chez de nombreux patients, notamment en cas de syndrome fibromyalgique. Simple coïncidence ? Probablement pas, puisque chacune de ces 3 affections peut contribuer au développement ou à l’entretien des 2 autres. Par exemple, une douleur neuropathique permanente peut engendrer un trouble du sommeil et épuiser l’individu, la dépression s’accompagne souvent d’insomnie et peut favoriser le développement de douleurs musculo-squelettiques…



Les auteurs américains d’un article (Theoretical review) paru dans la revue de médecine du sommeil (éditions ELSEVIER) émettent l’hypothèse suivante : la dopamine pourrait bien être le point commun entre la douleur chronique, l’insomnie et la dépression. Pourquoi une telle idée ? Avant tout parce que ces 3 affections sont sous l’influence du système nerveux central : il est donc logique de se tourner vers un médiateur chimique cérébral. Mais pourquoi la dopamine ? Plusieurs éléments permettent de la placer au rang des suspects :
  • L’altération des voies dopaminergiques est déjà incriminée dans certaines pathologies en lien avec le « sommeil », comme la narcolepsie ou le syndrome des jambes sans repos (voir article de mon blog), des facteurs génétiques ayant déjà été identifiés. Rien n’est encore vraiment prouvé pour l’insomnie, mais les études sur le sujet sont peu nombreuses.
  • Au cours de certains syndromes douloureux chroniques, comme la fibromyalgie, certains patients présentent une quantité anormale de métabolites de la dopamine dans le liquide céphalo-rachidien.
  • Il est bien démontré que le stress altère le fonctionnement des voies dopaminergiques. Or, le stress chronique peut conduire à la dépression : par le biais d’une mauvaise régulation de la dopamine ? Manifestement la recherche clinique sur la dépression ne s’intéresse plus uniquement à la sérotonine et à la noradrénaline…



A ce jour, même si l’étau semble se resserrer autour de la dopamine, la présomption d’innocence reste d’actualité. En attendant d’en savoir plus, les auteurs de cet article se fournissent quelques conseils aux cliniciens :
  • Les patients traités pour un trouble du sommeil, une douleur chronique ou une dépression doivent être évalués globalement, à la recherche des 2 autres éléments de la triade. La prise en charge spécifique de chaque affection peut avoir un effet bénéfique sur les 2 autres.
  • Les patients qui présentent des douleurs chroniques influencées par le système nerveux central, comme dans la fibromyalgie (voir article de mon blog), ont plus de risques de présenter un trouble du sommeil ou une dépression. Une approche préventive (par exemple en termes d’hygiène de vie, de rythme de sommeil…) apparait donc judicieuse.
  • La prise en charge des sources de stress est essentielle, puisqu’elle contribue au développement et/ou au maintien de l’insomnie, de la douleur et de la dépression.
  • La recherche d’un abus en substances stimulantes doit être systématique : un tel abus peut altérer les circuits cérébraux dopaminergiques et donc favoriser l’installation de la triade infernale.