samedi 27 octobre 2012

Recherche clinique sur les médicaments antalgiques : le cliché reste flou…

Etats-Unis d’Amérique (USA), 1997 : la Food and Drug Administration (FDA) se modernise et décide de créer une base de données permettant au public d’accéder à des informations sur le développement de nouveaux médicaments. Dix en plus tard, en 2007, la FDA va encore plus loin en imposant l’inscription de tout nouvel essai clinique de phase II à IV dans cette base de données (consultable gratuitement sur le site http://www.ClinicalTrials.gov). L’objectif est clair : donner accès à tous aux dernières recherches et à leurs résultats, qui doivent être déposés au maximum 1 an après la fin des travaux menés. Problème : ces résultats ne sont disponibles que dans moins d’un cas sur 10…

Qu’en est-il pour les essais cliniques menés dans le champ de la douleur chronique ? Une base de données spécifique (RReACT database) a pu être mise en place grâce à un partenariat entre les pouvoirs publics américains et l’industrie pharmaceutique : elle comprend les essais cliniques menés dans le cadre de la prise en charge des douleurs post-zostériennes (DPZ), des neuropathies périphériques diabétiques (NPD) et de la fibromyalgie (FM).





Une photographie a été prise le 1er décembre 2011 [1] : la base RReACT comprenait alors 373 essais cliniques (dont 93 concernaient les DPZ, 116 la fibromyalgie et 164 les NPD) dont 229 étaient achevés. Parmi ces 229 études achevées :
  • Les résultats avaient fait l’objet d’une présentation scientifique seulement dans 2 cas sur 3 ; il pouvait s’agir d’un article, d’un poster ou d’une communication dans un congrès ;
  • Ces résultats avaient été publiés en revue scientifique avec comité de lecture et « évaluation par les pairs » (peer-review journal) dans seulement 2 cas sur 5.




Pourquoi un tel constat ? Pourquoi dépenser autant d’argent dans un essai clinique sans en publier les résultats ? La raison principale est la suivante : une étude dont les résultats sont positifs (effet antalgique démontré du médicament testé) a toute les chances d’être soumise par les promoteurs à une revue scientifique, ce qui est loin d’être le cas des études dites « négatives » (effet antalgique non démontré). D’un point de vue général (pour tout type de médicament, antalgique ou non), l’expérience montre 97% des études positives sont publiées, contre seulement 33% des études négatives…

Au final, les bases de données créées n’atteignent pas leur objectif initial de transparence : elles ne reflètent que de façon trop partielle (partiale ?) les résultats des études cliniques menées. Il reste donc beaucoup de travail avant de pouvoir proposer une vision complète, non biaisée et universelle de l’état de la recherche sur les antalgiques…




Référence :

samedi 20 octobre 2012

Quand la colère gronde… la douleur chronique s'aggrave !

Lorsqu'une douleur évolue depuis plus de 3 (à 6) mois, elle est qualifiée de douleur chronique. Certaines douleurs chroniques vont évoluer favorablement, avec un retentissement modéré ; d'autres vont se transformer en un véritable syndrome douloureux chronique, tel que défini par la Haute Autorité de Santé (douleur évoluant depuis plus de 3 à 6 mois avec un retentissement sur le plan physique et/ou psychologique et/ou social). Question importante : quels sont les facteurs qui font qu'une douleur chronique se transforme en syndrome douloureux chronique ?



Plusieurs ateliers [1,2] et posters (par exemple [3]) du 14e congrès mondial sur la douleur (Milan, Italie, 27 au 31 août 2012) ont abordé cette question. Premier élément de réponse : ces facteurs sont nombreux ; l'analyse de 69 articles publiés en revue scientifique a fait ressortir 221 facteurs de risque différents. Présenté comme cela, la recherche de ces facteurs ne semble pas présenter un grand intérêt pour les patients et pour les soignants. C'est d'ailleurs ce qu'un congressiste a pu exprimer lors de la discussion de l'atelier TW27 [1] : ne faut-il pas arrêter de dépenser autant d'énergie, pour ne pas dire autant d'argent, pour consacrer plus de temps aux patients eux-mêmes ? Question polémique mais pleine de bon sens…
Pour autant, certains facteurs sortent nettement du lot et méritent d'être mieux connus, car ils peuvent constituer des cibles thérapeutiques très pertinentes :
  • Le catastrophisme, qui fait toujours envisager le pire et qui empêche le patient de se projeter vers une évolution favorable ;
  • La peur du mouvement, ou kinésiophobie ("si je fais telle activité, je risque d'avoir mal, donc je ne la fais plus"), qui pousse le patient à éviter progressivement de plus en plus d'activités par peur d'avoir plus mal et/ou d'aggraver son état ;
  • La colère, et notamment la colère induite par un fort sentiment d'injustice ("je ne mérite pas cela"). Cette colère peut être orientée vers soi-même ou vers un tiers (conjoint, employeur, assurance maladie, soignant…) et retarder la mise en place de stratégies d'adaptation.

Ces 3 facteurs sont les cibles principales des thérapies cognitives et comportementales utilisées face à la douleur chronique (voir article de mon blog), dont l'objectif est d'améliorer le sentiment d'auto-efficacité (voir article de mon blog). Au programme :
  • Travail "cognitif" sur les pensées catastrophistes, lorsqu'elles existent, par une confrontation à la réalité ;
  • Travail "comportemental", notamment par exposition progressive aux situations évitées ;
  • Travail "d'acceptation" de la chronicité de la douleur, en investissant des stratégies conformes à ses valeurs ;
  • Travail sur la "gestion du stress", par exemple par investissement de la relaxation.

Parmi les facteurs d'évolution défavorable, le sentiment d'injustice a été décrit par les intervenants de l'atelier TW48 [2] comme le plus difficile à appréhender. En effet, toute injustice perçue implique une quête (parfois obsédante) de réparation ; chez le patient présentant une douleur chronique, cela peut se traduire par un comportement démonstratif et de l'agressivité envers l'entourage (familial, professionnel, soignant), et donc induire des conflits et/ou des rejets… ce qui aggrave encore le sentiment d'injustice et d'incompréhension. Un véritable cercle vicieux peut alors se mettre en place. Ne pas répondre à la colère par de la colère, aider à relativiser : la prise en compte de ce sentiment d'injustice est fondamentale pour aider le patient à se projeter à nouveau dans l'avenir.

Colère, catastrophisme, peur du mouvement, sentiment d'injustice : tous ces facteurs peuvent cohabiter chez un même individu et évoluer indépendamment les uns des autres dans le temps. Complexe, vous avez dit complexe? Manifestement, il reste du chemin à parcourir en termes de prévention secondaire* de la douleur chronique…




* prévention secondaire = empêcher la douleur chronique d'évoluer (défavorablement) vers un syndrome douloureux chronique

mercredi 17 octobre 2012

Structures spécialisées « douleur chronique » : l’annuaire nouveau est arrivé

Dans mon post du lundi 13 août 2012, j’expliquais que le ministère de la santé était en train de finaliser un nouvel annuaire des structures d’étude et de traitement de la douleur chronique. Du fait de la parution d’un nouveau cahier des charges le 19 mai 2011 (voir article de mon blog), il a fallu mettre en œuvre une démarche nationale d’identification des structures qui respectent réellement les exigences requises. Une fois cette identification réalisée au de chaque région, le ministère a du collecter l’ensemble des données nécessaires à la mise en ligne d’un annuaire complet.




C’est maintenant chose faite : depuis la journée mondiale contre la douleur du 15 octobre 2012, une carte de France interactive (il suffit de cliquer sur une région pour faire apparaître la liste des structures) est mise à disposition du grand public.




Source : Les structures spécialisées douleur chronique (SDC). Site santé du Ministère des affaires sociales et de la santé


Information complémentaire issue de la même source : texte explicatif sur les « structures spécialisées douleur chronique »

Les structures spécialisées prennent en charge les douleurs chroniques. Une douleur est dite chronique dès lors qu’elle est persistante ou récurrente (le plus souvent au-delà de 6 mois), qu’elle répond mal au traitement et qu’elle induit une détérioration fonctionnelle et relationnelle. Chez les patients les plus sévèrement affectés, elle peut par ailleurs s’accompagner des facteurs de renforcement que sont des manifestations psychopathologiques, une demande insistante de recours à des médicaments ou des procédures médicales souvent invasives, ainsi qu’une difficulté à s’adapter à la situation.

Ces structures ne prennent pas en charge toutes les douleurs. Par exemple les douleurs aiguës provoquées par une crise d’appendicite, un infarctus du myocarde, une hémorragie cérébrale ou une fracture de jambe doivent être prises en charge par d’autres équipes soignantes (votre médecin, les services d’urgence, les services de chirurgie, de cardiologie, de chirurgie, etc.). Cette différence rappelle que toute douleur doit faire l’objet d’un diagnostic (recherche de la cause). Sans diagnostic, il ne peut pas y avoir de bonne prise en charge de la douleur.

C’est pourquoi votre médecin traitant a un rôle primordial permettant que ces structures puissent concentrer leurs moyens et leurs efforts sur les patients relevant d’elles.

La prise en charge de ces douleurs nécessite la collaboration de plusieurs spécialistes de disciplines différentes.

Les structures spécialisées sont toutes hébergées en établissement de santé et labellisées par les agences régionales de santé (ARS) : elles doivent en effet satisfaire à des critères bien précis qui ont été revus en mai 2011.

Deux niveaux (ou grades) de SDC existent :
  • les consultations d’une part, qui assurent une prise en charge pluri-professionnelle c’est-à-dire une prise en charge en équipe (médecin, infirmier, psychologue) ;
  • les centres d’autre part, qui réalisent une prise en charge médicale pluridisciplinaire c’est-à-dire plusieurs médecins de différentes spécialités (neurologue, psychiatre, orthopédiste, etc.) . Vous pouvez avoir accès à des lits d’hospitalisation

Vous trouverez dans cette rubrique l’annuaire national qui est le fruit de la labellisation conduite par chaque agence régionale de santé sous la coordination de la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS).

Cet annuaire se veut être un outil facilitant l’accès à ces structures. Il liste, pour chaque région, les SDC labellisées et indique leurs coordonnées géographiques précises, le nom de leur médecin responsable, leur contact téléphonique (secrétariat). Il permet de repérer les structures pour lesquelles une spécialité pédiatrique a été identifiée (toutes les SDC accueillent cependant les enfants, de part leur polyvalence).

Cet annuaire est évolutif. Il tiendra compte des changements communiqués par les référents en ARS (créations, modifications). Il est destiné à être complété à terme par la mention de spécificités (par pathologie douloureuse, par spécialité thérapeutique) pour la mise en place de filières plus spécialisées (les SDC restant néanmoins toutes polyvalentes).

Dans la mesure où les SDC sont des structures de recours (hautement spécialisées) accessibles non pas directement par les patients mais sur avis préalable d’un médecin (haute autorité de la santé, avril 2009), cet annuaire est en priorité destiné aux professionnels de santé qui pourront ainsi connaitre l’existence des SDC de proximité (les consultations) ou dotées d’hospitalisation et de plateaux techniques (les centres).

samedi 13 octobre 2012

Douleur de la fibromyalgie : associations de malfaiteurs ?


Nombreux sont les patients présentant un syndrome fibromyalgique, nombreuses sont leurs questions et nombreux sont leurs échanges sur internet (réseaux sociaux, forums, sites d'associations…). A l'issue du congrès mondial 2012 sur la douleur (Milan, Italie, du 27 au 31 août), les professionnels de santé ont-ils plus d'éléments à offrir à la communauté "fibromyalgie 2.0" ? Peut-être bien…



Un des 70 "topical workshops" de ce congrès a été consacré à la physiopathologie de la fibromyalgie : les 3 intervenants ont tenté de résumer les données des nombreuses recherches publiées sur la question. Une chose est sûre, leurs exposés se concluent sur des hypothèses et non pas sur des certitudes. Néanmoins, 2 idées clés peuvent être dégagées :

1. Le muscle, le nerf ou le cerveau ?

Beaucoup d'incertitudes demeurent sur les structures anatomiques responsables des douleurs du syndrome fibromyalgique. Quel est le principal coupable ?
  • Le muscle ? Si la fibromyalgie porte ce nom, c'est bien parce que les douleurs sont ressenties par les patients au niveau des muscles et des tendons. Par ailleurs, plusieurs études ont retrouvé des anomalies au niveau musculaire : trouble de la circulation sanguine (voire ischémie), présence de diverses substances chimiques "algogènes"…
  • Le nerf ? Les nocicepteurs présents dans les muscles peuvent être activés par l'ischémie tissulaire puis sensibilisés par les substances algogènes, de sorte que le nerf transmet en permanence des influx douloureux…
  • Le cerveau ? Un faisceau d'arguments semble plaider en faveur de sa culpabilité (voir article de mon blog) : l'association fréquente de la fibromyalgie à d'autres pathologies suspectes de mécanismes centraux (intestin irritable, cystite interstitielle, fatigue chronique…) ; la fréquence des "traumatismes" au sens large (accidents, agressions, enfance difficile…) ; l'efficacité chez certains patients de médicaments à action cérébrale (antidépresseurs, anti-épileptiques) et/ou de techniques de stimulation cérébrale (voir article de mon blog).
Les suspects sont nombreux, mais les preuves sont insuffisantes pour inculper l'un plutôt que l'autre. Il est fort probable que la fibromyalgie découle d'une véritable association de malfaiteurs. Les rôles respectifs du muscle, du nerf et du cerveau dans cette affaire restent cependant à déterminer… 

2. La fibromyalgie est-elle une maladie ?

Cette question est difficile mais essentielle pour un grand nombre de patients. L'hypothèse proposée dans cet atelier est la suivante : la fibromyalgie serait plutôt un syndrome qui aurait besoin d'une autre maladie pour se développer. Premier argument, il existe une telle variabilité interindividuelle en termes de symptômes qu'il semble difficile de "faire rentrer" tous les patients dans la même "case". La fibromyalgie correspondrait plutôt à un "réunion d'éléments distincts", étymologie du mot "syndrome". Second argument : le syndrome fibromyalgique est le plus souvent associé à une autre maladie rhumatologique, neurologique ou psychiatrique. Cette maladie sous-jacente constituerait un terrain fragilisé, propice et nécessaire au développement de la fibromyalgie. Parmi les quelques 2000 communications affichées lors de ce congrès, plusieurs dizaines concernaient de près ou de loin des études menées dans la fibromyalgie. La diversité des anomalies retrouvées et l'extrême variabilité interindividuelle de réponse à de nombreux traitements correspond tout à fait à la réalité des échanges sur les réseaux sociaux : chaque situation est différente… contrairement aux signes (relativement) constants retrouvés dans une maladie…



Alors, au final, qui est le véritable cerveau de la fibromyalgie ? S'agit-il d'une maladie en tant que telle ou d'un mode d'expression particulier, voire d'une complication d'une autre maladie ? Le débat reste ouvert, il ne manquera pas de se poursuivre en version 2.0 !

samedi 6 octobre 2012

Un commun ACCORD face à la douleur chronique : l’expérience du Québec…

Au cours du 14e congrès mondial sur la douleur, j’ai pu échanger avec des représentants de l’association québécoise de la douleur chronique (AQDC), association de patients se fixant comme objectifs « d’améliorer la condition et de réduire l’isolement des personnes atteintes de douleur chronique au Québec ». Créée en 2004, « l’AQDC est reconnue de tous les intervenants comme l’association qui représente toutes les personnes atteintes par la douleur chronique au Québec. Son leadership est incontesté, et elle sert même de modèle à d’autres associations ». Une situation intéressante, qui ne doit rien au hasard, mais à une réelle planification stratégique. Logo très parlant, modes de communication modernes, collaboration avec les pouvoirs publics, participation à la recherche clinique, constitution du « registre Québec douleur », développement de permanences : ce n’est pas par hasard si le site internet de cette association figure sur la première page du moteur de recherche Google si vous tapez « douleur chronique ». Je remercie au passage Jacques Laliberté et Line Brochu, respectivement président et vice-présidente de l’AQDC, pour la richesse de nos échanges.




Parmi les actions auxquelles contribue l’AQDC : le programme ACCORD, présenté sous forme de poster lors du 14e congrès mondial sur la douleur [1]. ACCORD signifie « Application Concertée des COnnaissances et Ressources en Douleur » ; il est le fruit d’une "alliance communautaire des instituts de recherche en santé du Canada qui regroupe des chercheurs, des cliniciens, des décideurs/gestionnaires et des patients qui souffrent de douleur chronique. Le but de cette alliance est de créer des partenariats actifs qui favoriseront de la recherche de haute qualité de même que l’échange et l’application des connaissances dans le domaine de la douleur chronique".




Les objectifs affichés de ce programme sont les suivants :
  • Lutter contre certaines croyances, attitudes et idées préconçues sur la douleur et son traitement ;
  • Encourager les patients à développer leur autonomie, à investir des stratégies d’autogestion et à devenir des partenaires actifs en termes de traitement de la douleur ;
  • Rendre la douleur chronique « plus visible » dans la province du Québec.

Parmi les actions orientées vers le grand public :
  • 12 brochures « éducatives » destinés aux patients, disponibles en français et en anglais, avec un message commun « La douleur, je m’en occupe ». Au programme : la communication avec les proches et avec les soignants, les médicaments, les émotions, la respiration, le sommeil, la psychologie, l’activité physique, la nutrition, la sexualité… Chaque dépliant comporte 3 pages très synthétiques et très pratiques. Plus de 80 000 brochures ont déjà été diffusées en établissement de santé ou lors d’évènementiels grand public.


  • Des « causeries » ACCORD : sous ce nom imagé se cachent des discussions publiques interactives sur la douleur chronique dans des restaurants, des pubs ou des cafés. Menées par 4 experts (1 médecin, 1 psychologue, 1 kinésithérapeute et 1 chercheur), 15 de ces causeries ont déjà pu avoir lieu, avec une satisfaction très élevée des participants.
  • Deux journées nationales annuelles destinées à éveiller la conscience collective (nommées « Pain awareness days »), avec mise à disposition d’informations interactives sur la douleur chronique dans le plus grand centre commercial de Montréal.