mardi 28 février 2012

Le quart d'heure canin : une nouvelle "thérapie" face à la douleur chronique ?

L'hôpital universitaire de Pittsburg (USA) a mené une expérience originale durant les mois de juin et juillet 2011 : les patients accueillis pour leur consultation de la douleur chronique avaient le choix entre 2 salles d'attente différentes [1]. Dans l'une d'elle, le patient pouvait s'assoir aux côtés d'un terrier irlandais (nommé "Wheatie") et de son maître, tous 2 certifiés par "Therapy Dog International". Ce chien et son maître étaient des habitués de la relation d'aide par la médiation animale*, puisqu'ils avaient déjà réalisé des interventions de ce type 175 fois avant le début de cette expérience. Le chien est entraîné à rester immobile et à se laisser caresser ; toutes les conversations entre les patients et le maître étaient centrées sur le chien.



Durant la période de cette étude, 286 patients ont choisi la salle d'attente "canine", dans laquelle ils sont restés en moyenne 11 minutes. Tous ces patients ont rempli un questionnaire avant et après, dans l'optique d'évaluer leur douleur et leur anxiété. En moyenne, l'intensité douloureuse des patients, mesurée sur une échelle numérique de 0 à 10, diminuait de 0,92/10 (6,66 avant contre 5,74 après). Dans 23% des cas, cette intensité douloureuse diminuait de plus de 2/10 (différence habituellement jugée comme significative sur le plan clinique). Plus intéressant, l'état de stress diminuait de 44% (4,59/10 avant contre 2,55 après) et la sensation de gaité augmentait de 46% (5,37/10 avant contre 7,83 après).

La satisfaction globale des patients ayant fait le choix de la médiation animale était de 97,4% ; de plus, 91,5% des patients exprimaient le souhait de rencontrer à nouveau le chien lors de leur prochaine consultation. Pour quelles raisons ? Avant tout du fait d'une sensation de bien-être et/ou du détournement d'attention de la douleur.




 

Au total, la médiation animale semble améliorer sensiblement les conditions d'attente des patients qui consultent pour la prise en charge de leur douleur chronique, essentiellement par un effet anti-stress.

1. Marcus DA, Bernstein CD, Constantin JM, Kunkel FA, Breuer P, Hanlon RB. Animal-Assisted Therapy at an Outpatient Pain Management Clinic. Pain Medicine 2012;13:45-57.

* En France, l'Université d'Auvergne organise un Diplôme Universitaire de Relation d'Aide par la Médiation Animale (RAMA)

samedi 25 février 2012

Kétamine : le nouveau RIVOTRIL® à la sauce T2A ?

La complexité de la prise en charge des patients présentant un syndrome douloureux chronique pousse les soignants à toujours plus d’innovation. Dans le meilleur des cas, l’émergence de nouveaux traitements (médicamenteux ou non) s’accompagne d’une recherche clinique de qualité, ce qui permet une généralisation progressive. Dans d’autres cas, les années passent, les habitudes de prescription de développent, sans réelle preuve d’efficacité et/ou de sécurité.

Ce fut le cas du RIVOTRIL®, traitement extrêmement bon marché puisqu’un flacon de 500 gouttes ne coute que 2 euros. Le coût de traitement journalier pour un patient qui consomme 10 gouttes de RIVOTRIL® par jour n’est donc que de 4 centimes d’euros : pas de quoi creuser le trou de la sécurité sociale ! Malheureusement, il aura fallu des décennies pour s’apercevoir d’un rapport bénéfice-risque très défavorable…

N’est-il pas en train de se passer la même chose avec la kétamine ? Cette molécule, utilisée en anesthésie, fait l’objet d’un intérêt croissant du fait d’une action spécifique sur un des nombreux récepteurs (dit NMDA) impliqués dans le contrôle du message douloureux. A ce jour, les revues de la littérature [1,2] s’intéressant à l’usage de la kétamine dans un contexte de douleur chronique posent toutes les mêmes constats :
- efficacité au mieux modérée et de courte durée ;
- nombreux effets secondaires neuropsychologiques ;
- risque addictif ;
- absence de consensus sur la voie d’administration à utiliser (intraveineuse, sous-cutanée, nasale, orale ?) ;
- absence de consensus sur les doses à utiliser ;
- absence de données d’efficacité et de sécurité à long terme.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’utilisation de la kétamine ne peut actuellement s’envisager [1,2] que dans le cadre d’un protocole de recherche, en attendant d’avoir des données plus solides. Une étude nationale française est en cours de construction pour ce qui est de la prise en charge des douleurs neuropathiques.

Pour autant, le recours à la kétamine en dehors de tout protocole de recherche semble être en plein essor, notamment pour la fibromyalgie, syndrome douloureux à la physiopathologie encore mal élucidée. Qui plus est, ce type de pratique tend à se développer sans évaluation rigoureuse du contexte psychosocial du patient !

Ne s’agirait-il pas d’un effet pervers de la tarification à l’activité, cette fameuse « T2A », qui fait que les établissements de santé se rémunèrent au nombre de séjours qu’ils réalisent ? La kétamine étant, en France, un produit à usage hospitalier, son utilisation nécessite une hospitalisation. La journée d’hospitalisation de jour étant facturée à hauteur de 424,33€ (GHS R52.1 douleur chronique irréductible, tarif 2011), l’opération peut rapidement rapporter gros (à l’établissement) et donc coûter cher (à la collectivité). Plus de kétamine, plus de séjours pour le service, plus de recettes pour l’établissement : mais quel bénéfice pour le patient ?

mercredi 22 février 2012

Clonazépam (RIVOTRIL®) : chronique d'une mort annoncée

Dès le 15 mars 2012, les formes orales de clonazépam (RIVOTRIL®) seront réservées à la prescription des neurologues et des pédiatres, uniquement dans le cadre de l’épilepsie (conformément à son autorisation de mise sur le marché). C’est l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) qui a pris cette décision [1], du fait d’un usage détourné du produit par les toxicomanes, mais aussi du fait d’un rapport bénéfice-risque non établi, voire défavorable dans le traitement de l’insomnie ou de la douleur. Cette décision devrait mettre fin à des décennies de prescription de RIVOTRIL®, sans aucune preuve d’efficacité dans un contexte de douleur chronique. Dès 2006, un certain nombre d’entre nous [2] avait pointé la non-pertinence de cette exception française : aucun autre pays du monde n’utilise le RIVOTRIL® pour traiter la douleur !

Cette opinion a été confortée par les recommandations [3] de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD) consacrées aux douleurs neuropathiques chroniques (janvier 2010). Le positionnement des auteurs est le suivant : "Il n'y a pas lieu de recommander le clonazépam dans le traitement des douleurs neuropathiques du fait de l'absence de preuve d'efficacité dans ces douleurs et du risque potentiel de dépendance au long cours. Si ce traitement à faibles doses est peu coûteux et peut avoir un bénéfice sur les troubles du sommeil ou l'anxiété associés à la douleur, il en est de même pour d'autres traitements démontrés efficaces dans les douleurs neuropathiques".

Durant l’année 2011, j’ai mené une enquête (non publiée) auprès des patients que je rencontrais pour la première fois en consultation et qui utilisaient du RIVOTRIL®. Les résultats étaient consternants : sur 40 patients répertoriés, seuls 2 (soit 5%) estimaient bénéficier d’un soulagement ! A l’inverse, 29 patients (soit 73%) présentaient des effets secondaires, essentiellement une sédation excessive… Au sein de cette population, de 54 ans de moyenne d’âge et utilisant en moyenne 11 gouttes de RIVOTRIL® par jour, la grande majorité était donc (sic) « shootée mais pas soulagée »…

Depuis 2 ans, les pouvoirs publics multiplient les arrêtés publiés au Journal Officiel : limitation de la prescription à 12 semaines (12 octobre 2010), puis à 28 jours (24 août 2011) et enfin interdiction de la prescription en dehors de l’épilepsie (15 mars 2012). Pour accompagner ces mesures, l’AFSSAPS a publié en novembre 2011 une mise au point, intitulée "Clonazépam (RIVOTRIL®) per os utilisé hors AMM (notamment dans la douleur, les troubles anxieux et du sommeil) - Pourquoi et comment arrêter ?".

Je rencontre encore aujourd’hui, au cours de mon activité clinique, un nombre non négligeable de patients utilisant du RIVOTRIL® ; dans certains cas la prescription est récente, dans d’autres les patients font des stocks avant la date fatidique… Interrogés par sondage en décembre 2011, les médecins membres de la SFETD se sont majoritairement (71%) déclarés prescripteurs réguliers ou occasionnels de RIVOTRIL®, essentiellement dans le cadre de douleurs neuropathiques. Parmi les 325 médecins ayant répondu au questionnaire, 3 sur 10 estiment qu’un sevrage sera difficile à réaliser chez plus de 25% des patients.

La fin du règne du RIVOTRIL® illustre parfaitement les difficultés à mettre en place une vraie réflexion bénéfice-risque pour toute prescription médicamenteuse. Cette réflexion vient heurter les habitudes (de prescription) et les impressions subjectives (d’efficacité et de sécurité d’emploi). Puisse cette fin de règne être bénéfique pour les patients et favoriser les approches, médicamenteuses ou non, ayant fait leur preuve pour soulager la douleur chronique…

dimanche 19 février 2012

Qu'est-ce qu'une consultation d'étude et de traitement de la douleur chronique ?

Il s'agit d'un service, basé dans un établissement de santé public ou privé, qui prend en charge en consultation, à la demande de leur médecin traitant, des patients présentant un "syndrome douloureux chronique".

Le patient doit pouvoir y bénéficier d’une prise en charge spécifique fondée sur les règles d’organisation et les principes thérapeutiques suivants :
  1. Assurer selon la complexité et la sévérité de la douleur une approche au moins pluri-professionnelle (un seul médecin associé à un ou plusieurs professionnels non médicaux : infirmière, psychologue) voire pluridisciplinaire (plusieurs médecins de disciplines différentes) afin d’appréhender les différentes composantes du syndrome douloureux chronique et proposer une association de thérapeutiques pharmacologiques, physiques, psychologiques voire chirurgicales.
  2. Décider d’un projet thérapeutique adapté après un bilan complet comprenant la réévaluation du diagnostic initial. L’objectif est de réduire la douleur autant que possible jusqu'à un niveau permettant une qualité de vie satisfaisante pour le patient.
  3. Favoriser la coopération entre le patient et l’équipe soignante, son adhésion et sa participation au projet thérapeutique. Collaborer avec le(s) médecin(s) traitant(s) du patient en les informant du bilan et en les associant autant que possible au projet thérapeutique et au suivi.
  4. Prendre en compte l’environnement familial, culturel, social et professionnel du patient.




Il existe au moins une consultation d'étude et de traitement de la douleur chronique dans chaque département. Le fonctionnement d'un tel service est décrit de façon complète dans l'instruction de la Direction Générale de l'Offre de Soins (DGOS) datée du 19 mai 2011.

Pour plus d'information sur le "syndrome douloureux chronique" et sur sa prise en charge, la Haute Autorité de Santé a publié en décembre 2008 des recommandations professionnelles sur le thème "douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient".